Article Méta Défense, avec le titre : DGA et industriels français joignent leurs efforts pour développer en urgence une munition rôdeuse antichar portant à 80 km
Depuis la guerre du Haut-Karabagh en 2020, la plupart des armées mondiales a entrepris de se doter d'un nouveau type d'armement, la munition rôdeuse antichar et de frappe dans la profondeur, également appelées improprement drones suicides.
Faisant la synthèse du drone par sa simplicité d'utilisation, son autonomie, son allonge et sa capacité à rechercher d'éventuelles cibles grâce à ses capteurs tout en gardant l'homme dans la boucle et du missile tactique par sa charge utile et sa capacité de destruction, les munitions rôdeuses Harpy et Harop de facture israélienne mises en œuvre par les militaires azéris, ont détruit, durant cette guerre, plusieurs systèmes anti-aériens et bunkers arméniens, tout en produisant de nombreuses vidéos spectaculaires attestant de cette efficacité.
Depuis le début du conflit en Ukraine, les munitions rôdeuses russes Lancet et comme celles employées par les Ukrainiens tels le Switchblade américain, ainsi qu'un grand nombre de systèmes plus ou moins artisanaux, jouent également un rôle opérationnel important, notamment dans la neutralisation des systèmes d'artillerie mobile à longue portée.
Pour autant, au-delà de la surprise initiale à laquelle les armées des deux camps ont été confrontées suite à l'apparition de ces systèmes difficiles à détecter et à contrer par des équipements traditionnels, leur efficacité a sensiblement diminué ces derniers mois, alors que les parades pour s'en protéger entraient, elles aussi, en service. Ainsi, le taux d'efficacité des drones à longue portée Geranium russes (Shahed 136) a considérablement diminué une fois la défense antiaérienne ukrainienne organisée pour les contrer.
De même, aujourd'hui, selon divers rapports, les forces ukrainiennes perdraient plusieurs milliers de drones légers de reconnaissance et de munitions rôdeuses artisanales chaque mois, en grande partie du fait du brouillage intensif des signaux GPS et des liaisons de données russes beaucoup plus dense et efficace qu'en début de conflit. De fait, le développement d'une nouvelle munition rôdeuse, qui plus est destinée à équiper une armée conventionnelle de premier rang comme l'Armée de terre française, se doit de répondre à un cahier des charges loin d'être trivial.
Non seulement le drone doit-il avoir une grande autonomie, la capacité d'être mis en œuvre avec une infrastructure très réduite, et emporter des systèmes de communication et de détection optique performants, mais il doit également pouvoir poursuivre la mission en dépit d'un probable intense brouillage, ainsi que d'importer une importante charge militaire capable de détruire la cible visée, souvent des véhicules blindés. C'est précisément ce cahier des charges qui est à l'origine de la munition rôdeuse à longue portée Larinae, un des deux projets de ce type avec la munition rôdeuse tactique Colibri, dont le développement rapide a été annoncé par la DGA, il y a quelques semaines.
Pour y répondre, elle a constitué une équipe rassemblant trois spécialistes de leurs domaines respectifs sous le contrôle de KNDS-Nexter qui assure le pilotage du programme. Ainsi, le drone est ses systèmes de contrôles seront développés par EOS Technologie, particulièrement reconnue pour ses drones à autonomie étendue par énergie solaire, mais également par ses avancées dans le domaine de la discrétion acoustique de ses modèles donnés pour être 30% moins bruyants que les modèles concurrents. La navigation et la résistance au déni d'accès, par brouillage ou spoofing du signal GPS, ont été confiées à la société TRAAK, qui développe de longue date des systèmes de navigation et de géolocalisation pour la défense et l'industrie, y compris en environnement dégradé.
Enfin, la conception de la charge militaire, qui devra non seulement venir perforer le blindage de la cible, mais également franchir les différents systèmes de défense actifs (Système hard-kill, brique active) ou passifs (grillage de protection..), a été confié à Nexter Arrowtech, filiale de KNDS-Nexter. Cette concentration de compétences doit permettre de concevoir, d'ici à la fin de l'année 2024, une munition rôdeuse aux performances remarquables. En effet, le Larinae doit pouvoir tenir l'air pendant 3 heures et évoluer jusqu'à 80 km de la station de contrôle, ce qui représente plus ou moins la portée électromagnétique maximale pour une station dotée d'une antenne de 2 mètres de haut, et un drone évoluant à plus de 300 mètres du sol, en supposant un terrain plat.
L'optronique embarquée doit permettre de détecter une cible de la taille d'un char à 15 km de distance de jour, et à 3 km de nuit. La munition, comme dit précédemment, devra être en mesure de franchir un système de défense actif, y compris de type hard-Kill, pour détruire un véhicule blindé, y compris un char.
Enfin, si le drone devait ne pas trouver de cibles au cours de sa mission, il doit pouvoir revenir à son point de départ, se poser verticalement pour être reconditionné et employé à nouveau au besoin, l'opérateur ayant la possibilité de simplement désactiver la charge militaire au besoin pour éviter les accidents.
Au-delà de ces ambitions technologiques et opérationnelles, le Larinae est également l'occasion pour la DGA d'innover dans la méthode employée pour piloter le programme lui-même, laissant une plus grande autonomie aux industriels en matière d'organisation et de collaboration, mais en imposant des exigences de délais, de performances et de prix strictes, se voulant une réponse à l'évolution de la réponse industrielle à celle de la menace internationale, en application de l'objectif "d'économie de guerre" mis en avant par l'exécutif français.
Reste à voir à quel point le cahier des charges aura su encadrer efficacement ce besoin, notamment pour ce qui concerne les aspects de transportabilité et de déploiement, alors que désormais, une distance de 80 km ne représente plus une protection efficace contre l'artillerie adverse. Notons qu'en fonction des arbitrages qui seront faits dans ce domaine, le Larinae pourra représenter une alternative intéressante bien au-delà de l'Armée de terre, par exemple pour renforcer les capacités de frappe des navires de surface ou pour étendre les capacités des drones de combat.
Pour autant, le programme Larinae, comme son pendant à courte portée Colibri, sont au cœur d'une réelle mutation en cours au sein de la DGA, mais aussi de l'ensemble de l'industrie de défense française, qui pourrait effectivement laisser derrière la période post-guerre froide et des bénéfices de la paix, et ainsi s'engager dans une nouvelle approche plus dynamique, on pourrait parler de tempo, répondant aux évolutions stratégiques et technologiques en cours.
Article du 20 juin 2023 en version intégrale jusqu'au 18 aout 2023