Je n'ai pas regardé la vidéo de JMJ (qui est par ailleurs quelqu'un pour qui j'ai de l'estime car il a une excellente compréhension globale/intégrée de ces problèmes très complexes et il essaie de vulgariser sans céder à la facilité, ce qui n'est pas évident).
Mais là-dessus, c'est mon métier d'origine et je pense pouvoir en parler un peu.
Donc on a:
- les volumes en place (ou ressources ou encore accumulations) qui sont les volumes d'hydrocarbures découverts (en fait il y a une "ruse" car il existe aussi des ressources dites prospectives qui sont les volumes estimées avant la découverte donc beaucoup plus élevés mais aussi beaucoup plus incertains)
- les volumes récupérables qui sont la fraction des volumes en place que l'on peut
techniquement produire; pour le pétrole c'est 35% en moyenne de l'accumulation (mais ça va de 5 à 60% selon les cas), pour le gaz c'est entre 70 et 95%
- les réserves qui sont les volumes récupérables que l'on peut produire de manière économique c'est à dire
rentable; les réserves incluent donc la dimension économique et notamment le prix du baril. Plus il est élevé et plus les réserves augmentent car on peut mettre en œuvre des techniques de production sophistiquées qui vont augmenter le taux de récupération; mais l'inverse est vrai... Ensuite, JMJ a raison, le profil de production (c'est à dire le débit ou productivité) compte énormément. En général on essaie d'atteindre un plateau de production le plus haut possible et le vite possible et d'y rester le plus longtemps possible.
Ensuite on a:
- les réserves prouvées ou 1P: c'est le "worst case". De manière probabiliste, ce chiffre correspond à 10% de chance d'avoir finalement moins et 90% de chance d'avoir plus (en clair, pour les statisticiens, c'est le quantile Q10 de la distribution des réserves)
- les réserves prouvées+probables ou 2P: c'est le "base case" qui correspond au quantile Q50: 50% chance d'avoir moins, 50% de chance d'avoir plus
- les réserves prouvées+probables+possibles ou 3P: c'est le "best case" qui correspond au quantile Q90: 90% de chance d'avoir moins et seulement 10% de chance d'avoir plus
Ces chiffres peuvent donc différer énormément selon les hypothèses que l'on prend. Exemple: une hypothèse avec un baril variant entre 20$ et 100$ et un "base case" à 60$; mais ça peut aussi être une hypothèse 30-50-70 et le résultat sera forcément différent. Il existe pas mal de "trucs" qui permettent de gonfler les chiffres.
En cas de découverte, une compagnie donne d'abord l'accumulation c'est à dire les volumes en place. Puis elle va estimer le taux de récupération et la productivité (le débit du robinet), faire une hypothèse économique (le prix du baril) et elle donnera alors une estimation des réserves 1P (prouvées) et 2P (prouvées+probables). Le chiffre haut, les réserves 3P, n'est presque jamais donné (ça reste une estimation interne).
Les planifications ne se font donc jamais sur le "best case" (le 3P); en réalité, elle se font sur le "base case" (le 2P) mais il y a une sorte de crash test sur le "worst case" (le 1P). En clair, on prend le scénario "base case", on applique les hypothèses économiques du scénario "worst case" et on vérifie qu'on passe.
Il faut faire très attention aux volumes qui sont communiqués car entre les réserves prouvées et l'accumulation il peut y avoir un rapport facilement de 1 à 10 voire plus. Et souvent les communiqués mélangent allègrement ressources, réserves, etc. Même pour un spécialiste, ça peut être difficile de s'y retrouver.
JMJ a aussi raison de se méfier des chiffres données par les compagnies d'état des membres de l'OPEP.
En effet, une compagnie internationale, comme Total/ENI/Shell etc, est obligée de donner ses chiffres des réserves prouvées et ils sont audités tous les ans. La raison est que la valeur en bourse de ces compagnies dépend directement des réserves qu'elles déclarent et ils sont donc scrutées de près par les gendarmes boursiers, en particulier ceux du NYSE (New York Stock Exchange). Les Ricains ne rigolent pas avec la défense des intérêts des actionnaires et, en cas de problème (c'est à dire de surestimation des réserves), le staff (pdg, DAF etc.) est pénalement responsable et a donc toute les chances de se retrouver derrière les barreaux (et ils ne se gêneront pas surtout si ce sont des non américains).
Rien de tel pour les compagnies nationales, comme Saudi Aramco ou PDVSA (Venezuela) qui déclarent ce qu'elles veulent sans aucun contrôle puisqu'elles ne sont pas cotées en bourse. On peut donc légitimement avoir des doutes. Au passage Saudi Aramco devait être introduite en bourse et cela a suscité un grand intérêt dans le milieu car, du coup, elle allait devoir publier ses chiffres et on allait enfin savoir. Malheureusement cette introduction a été repoussée sans date....
Pour les non conventionnels, oui et non. Ils sont globalement plus chers à produire que les conventionnels mais pas tant que ça. Les Américains (qui en sont aujourd'hui les principaux producteurs) ont réduit les coûts et aujourd'hui, même avec un baril à 45$, ils passent. Leur coût de production a dû chuter autour de 30-35$/b et ils vont encore diminuer.
Les coûts de production les plus faibles sont dans le Golfe Persique: moins de 10$/baril.
Les coûts les plus élevés sont en offshore; pas certains que tout le monde passe à 45$/baril, par exemple les Brésiliens qui sont en offshore très profond (par 2000 à 3000m d'eau).
Je vais quand même essayer de regarder la conférence de JMJ quand j'aurai le temps histoire de voir si je ne raconte pas trop de bêtises mais ça devrait aller.
Merci pour le lien.