Salut
Pas à proprement sur la campagne d'Afrique orientale, ni même sur l'aviation.
Mais, dans le dernier numéro de la revue Ligne de Front (n°65 : janvier - février 2017), on trouve un excellent article de David Zambon sur la conquête éthiopienne par les italiens en 1935 - 1936 : "Duce contre Négus : Comment l'Italie vainquit l'Éthiopie".
Mise à part, le fait que le terme de "Négus" est inapproprié, mais on est sur du détail (et en outre, l'auteur précise ce point), l'article constitue une très bonne synthèse sur le sujet. Pas grand-chose à dire, sauf en conseiller la lecture.
Dans tous les cas, les conséquences de cette campagne de conquête sont non-négligeable puisqu’elles impactent lourdement la stratégie italienne en 1940 :
- une zone centrale conquise récemment avec des infrastructures encore réduite, ce qui limite fortement les mouvements entre les deux territoires périphériques (Somalie et Érythrée) mieux développés et avec une population davantage fidèle notamment pour le recrutement des troupes indigènes ;
- une zone centrale en état de rébellion latente voir en pratique conflictuelle avec régulièrement des affrontements entre Patriotes et troupes italiennes avec toutes les conséquences là encore en termes de logistique et déplacement entre les deux zones périphériques (le transport par voie maritime n'étant pas une alternative face à la Royal Navy) ;
- rébellion qui implique le maintien de moyens militaires sur place et donc absent du front, tout en limitant davantage les possibilités offensives italiennes en direction du Soudan (seule cible d'un intérêt militaire).
Précisions, toutefois, que cette rébellion doit être nuancé puisqu'elle concerne essentiellement les populations historiques de l’Éthiopie chrétienne donc le nord et l'ouest du pays majoritairement ; les populations musulmanes ou de conquête à l'est et au sud étant plus favorable à la présence italienne.
Sur ce point, et là encore sans critiquer les très grandes qualités de l'article de David Zambon, il me semble manquer un aspect (ou tout au moins peu développé). Aspect certes mineur pour la conquête italien, mais important pour les événements futurs. Je base ici essentiellement sur quelques publications universitaires - contribution à des colloques ou ouvrages collectifs d'origine éthiopienne (malheureusement, les publications strictement éthiopiennes étant difficile consultable du fait de l'écriture en Amharique).
Je pense, par exemple, à l'article suivant (disponible en ligne)
https://openaccess.leidenuniv.nl/handle/1887/12915
Effectivement l'armée éthiopienne présente des graves lacunes durant les combats de 1935 - 1936. Essentiellement : une absence totale d'intendance (complexe pour une armée de masse) ; une organisation encore très féodale et hétérogène ; une conception stratégique obsolète et même dangereuse vis-à-vis des forces de l'adversaire, en l’occurrence cette volonté de recherche l'affrontement de masse en rase campagne. Cet élément prive les Éthiopiens de deux avantages : une parfaite connaissance locale et l'utilisation de la géographie. Pour preuve, les quelques tentatives de type guérilla ont dans l'ensemble porté leurs fruits, mais employé d'une façon mineure souvent dans un objectif unique de retardement.
Or, comme le remarque certains auteurs, cette direction erronée s'explique par :
- une compréhension chez l'Empereur Hailé Sélassié et la haute-aristocratie d'une défaite logique face à la puissance italienne qualitativement, mais aussi souvent quantitativement (rares sont les affrontements menés en supériorité numérique par les Éthiopiens notamment en raison de cette absence d’intendance), quelque soit la stratégie employée ;
- la conscience d'une intervention voir une précision internationale avait peu de chance d'arriver (de mémoire, l'Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande sont les deux rares membres a avoir soutenu une réelle action offensive).
Dès lors face à une défaite inévitable, il était nécessaire de respecter au maximum la (longue) tradition et les lourdes structures de la Royauté éthiopienne, afin d'écarter toute démonstration de faiblesse et conserver la légitimité de l'Empereur. Ceci face aux différends féodaux (à la loyauté potentiellement douteuse), mais aux masses de la population imprégnée de cette double tradition monarchie / chrétiennete (avec effectivement une construction identitaire progressive à partir de l'Empereur Téwodros II qui marque la transition entre l'Éthiopie médiévale et celle moderne). Tout en maintenant une certaine contrainte sur les populations conquises.
Ainsi, l'Empereur et ses grands féodaux se doivent d'affronter l'adversaire avec bravoure et conformément aux grands récits de la tradition Éthiopienne comme leurs prédécesseurs notamment durant les phases de replis des XIII - XVè siècle face à la pression musulmane.
Cette attitude permet malgré la défaite à l'Empereur de partir en exile (et non de reconnaître la tutelle italienne comme espéré par ces derniers) en concernant sa dignité impériale intacte, tout en autorisant la mise en place d'un conseil de régence chargé d'assurer la résistance face au conquérant. Rébellion qu'il convient certes de nuancer sur son importance, ses composantes et son action, mais qui néanmoins existe.
Respect d'une certaine tradition, qui permet aussi aux grands chefs de cette rébellion de pouvoir aussi se saisir de cette tradition à titre de justification et soutien d'une partie de la population. Il est vrai aussi que la structure féodale joue aussi un rôle certain.
Utilisation de la tradition, notamment par la récupération de la notion du "Shifta", laquelle fait référence au bandit souvent d'origine noble qui se révolte contre l'autorité ou l'institution pour faire triompher la bonne justice face à un traitement jugé contraire à cette dernière. Notion qui inscrite dans un certain romantisme développé dans de nombreuses épopées et historiques populaires (donc connu par les masses populaires des campagnes), mais aussi double légitimité par la tradition, mais aussi les institutions (les Empereurs Téwodros II et Yohannes IV, à l'origine des conceptions de l’Éthiopie moderne, n'étaient par directement lié à la dynastie salomonide mais se réclame de ce statut initial de Shifta).
Il est vrai aussi que les Italiens commettent de lourdes erreurs, notamment suite à l'attentat contre Graziani (19 février 1937) et le massacre dans les monastères de Debré Libanos, haut siège symbolique de la chrétienté éthiopienne et de la monarchie (ainsi que de l’alliance entre ces deux).
Désolé pour ces longues lignes très éloignées de l'aviation, mais ces quelques remarques qui me sont venues à la lecture de cet article de David Zambon, dont je conseille encore vivement la lecture sur un sujet très rarement traité en français.