Amaryllis
Publié : mar. août 05, 2008 12:38 pm
Amaryllis : désigne des plantes bulbeuses de la famille des Amaryllidaceae du genre Hippeastrum originaire d'Amérique du sud en zone tropicale.
Nous sommes en détachement sur le sol Africain depuis le 10 mars 1994. Comme nous sommes un équipage Transall de l’escadron de transport tactique Bearn basé à Evreux, notre mission principale consiste à assurer le ravitaillement en vol (et l’alerte ravito) des avions de chasse Français déployés en Afrique.
Cette mission peut parfois être fastidieuse, surtout pour ce qui est de l’alerte. Mais les vols ravitailleurs sont passionnants. Il y a d’abord le fait de voir de près ces bêtes de course (oui, même le Jaguar !) et puis après la dernière livraison de carburant, l’avion est vide, donc tombé gauche et quartier libre ! En dehors du ravito, il y a toutes les missions de transport standard, le légumier vers Douala, l’oxygène pour les chasseurs à Abidjan, les posés de nuit (aux goose neck) à Bouar, mais aussi tous les petits terrain de brousse : Berberati, Mo baye…
Pour ce détachement nous sommes stationnés à Bangui. Nous logeons dans une villa louée par l’armée (bon, pas de panique, c’est quand même pas du 3 étoiles). C’est toujours nettement mieux que les campagnes ravito à Abéché, ou la seule distraction consiste à animer la chorale des petits enfants à la gueule de bois avec no copains chasseurs !
Ce soir du 7 avril 1994, j’ai décidé de ne pas sortir en ville et de me coucher tôt, l’Afrique à parfois des effets secondaires qui peuvent vous dissuader de toute envie de resto en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Il y a 2 jours, Le 6 avril 1994, en fin de journée, le Mystère XX du Président du Rwanda transportant également le président du Burundi a été abattu en finale à Kigali. Ca a évidement fait beaucoup causer dans les chaumières.
Vers 22 heures, je suis réveillé en sursaut : le COMAIR (Colonel qui commande tous les éléments de l’armée de l’air du site) fait irruption dans ma chambre. « On doit se préparer pour une opération ! Il faut transmettre à paris quels sont les moyens disponibles, et je ne trouve pas le CGT (commandant du groupement de transport) ! Bon, j’ai compris, pas de repos ce soir. J’ai une petite idée de l’endroit où je peux retrouver l’individu en question. Je saute dans la boubou, et après 2 ou trois boites, je retrouve la troupe au grand complet. Je leur dresse le topo, et tout le monde se dirige vers le camp. Mais que faire de plus ? Le CGT reste sur place, et les équipages vont se coucher, cette fois ci pour de bon, ça risque de servir pour les jours à venir.
Le lendemain, ça fourmille dans le petit bureau des OPS du camp de M’poko. L’opération porte le nom d’Amaryllis (c’est quoi ça Amaryllis ? Ils font chier avec leurs noms à la con !) et devrait se déclencher ce soir. Discussion avec le CGT : il m’apprend royalement que nous ne seront pas de la partie. Notre avion (le F201) étant un ravitailleur, son déficit de charge offerte le rend inintéressant pour la mission projetée (un aller retour Bangui Kigali sans arrêt moteur sur place). Je suis mûr ! Je passe la nouvelle à mon équipage qui n’en pense pas moins. En y réfléchissant 18 ans après, je trouve ça drôle ce besoin d’aller se faire casser la gueule !
La journée se passe quand même en calculs divers et variés : quantité mini de carburant, charge offerte, quelle est la menace sur place, quels terrains sont ouverts en route en cas de problèmes ? Au fil des heures, la situation évolue. Il va falloir mettre le paquet, et notre ravitailleur à charge offerte réduite va devoir participer. Il est même question de faire venir le Transall de Libreville.
Le soir arrive, tout est prêt, 151 gars du RPIMA embarquent dans les 4 avions. L’heure de décollage approche, on briefe rapidement, on est remontés comme des tendeurs ! Nous décollons en numéro 4 à une minute du 3 que nous suivons au RADAR (en surveillant les échos renvoyés par une balise qu’il embarque à cet effet). Montée au niveau de croisière (un petit 150 pour commencer, standard Transall en Afrique !) avec la routine qui s’installe : on ajuste la position par rapport à l’avion qui est devant, on surveille la météo (les cunimbs Africains ne sont pas nos amis) on gère le pétrole (il n’y en aura pas de trop sur une mission comme celle là) on calcule des points critiques.
La météo se dégrade, on est IMC. Soudain, une lumière attire mon regard à ma gauche. Je tourne la tête, il y a une sorte de flammèche qui court dans le lit du vent à partir du bord d’attaque. Je n’ai jamais vu ça, c’est plutôt joli. J’en informe Jean Louis, le mécanicien assis en place centrale. La réponse ne se fait pas attendre : « putain, on a un dégivreur qui crame ! » Ah oui tiens ? Il a raison maintenant que j’y pense ! L’antigivrage du Transall est assuré par des résistances chauffantes sur les bords d’attaques. Ils se mettent parfois en court jus. J’ai eu ce phénomène un jour sur une hélice lors d’un décollage de Metz. Ca produit un assez joli disque flamboyant. Cette fois là on était retourné se poser, pour constater que l’hélice composite était bouffée jusqu ‘au longeron. Aujourd’hui, pas question de faire demi tour. D’une part, nous n’avons perdu qu’une section du dégivrage de l’aile gauche, d’autre part, la mission mérite qu’on force un peu.
Et puis bon, on va peut être échapper au gros mauvais temps cette nuit ! Du coup le Radar météo devient le centre du poste de pilotage. Il faut dire que depuis quelques minutes, il est devenu d’un vert beaucoup trop éclatant pour mon goût. Question d’harmonie : pas de vert criard dans un avion kaki ! La plaisanterie ne dure pas longtemps. Nous voila immergés dans un de ces enfers Africains dont Zeus a le secret. Des turbulences incroyables (ça va derrière ? Ca dégeule normalement !), des éclairs aveuglants, la glace qui accroche partout où elle peut (la section de bord d’attaque en panne s’est transformée en bonhomme de neige) et pour finir, de la grêle ! Le vacarme est tel qu’il faut hurler pour parler au copi.
Heureusement, tout ça s’arrête aussi vite que ça a commencé. Et rapidement, nous voilà en ciel clair. Ca tombe bien parce que le but du voyage se rapproche, et comme il est prévu de se poser sans phares, autant qu’il fasse beau. Il est également prévu de ne contacter personne… « Kigali, Kigali, des Magistra »…. « Quel con ce leader ! Ca ressemble à quoi ? » Exclamations et onomatopées diverses dans la cabine… Revenons à nos moutons, la zone de Kigali est maintenant en vue. Des lueurs à droite.
Manu, le copi annonce : « Tiens, ils tirent des fusées éclairantes ? »
Jean Louis : « Ca ressemble plus à du 20 mm… »
Manu : « Oh M….. »
On sert les fesses un peu plus fort et on continue. L’atterrissage ne pose pas de problèmes, la nuit est assez claire. En revanche, arrivé dans l’ombre des hangars, on n’y voit pas grand-chose. Il y a dans ce petit espace 4 avions moteurs tournants, 151 gars qui débarquent, des hangars à peine visibles… Je décide de ne pas allumer le phare de roulage et d’y aller au juger. On débarque tout le monde et on redécolle à notre tour. Après décollage, on garde 14500 tours, la PMC. Tout le monde a envie de s’éloigner de ce sol peu amical, il faut dire qu’on ne sait pas trop ou en sont les rebelles. Le numéro 3 est resté sur place, il rapatriera les premiers ressortissants français. Le voyage retour est nettement plus calme, les cunimbs ont perdu de leur énergie, et nous aussi : ça roupie dur dans le cockpit !
On se pose à Bangui après 8 heures de vol. Tout le monde est vanné (presque tout le monde, je crois qu’un mec nav d’un autre équipage est allé directement en boite à sa sortie du camp) il est donc temps d’aller prendre un repos bien mérité, d’autant plus que l’opération n’est pas finie.
En effet, nous y retournerons 2 fois dans le cadre du pont aérien qui s’est monté. Je me rappelle que la dernière fois, les tirs de mortiers étaient assez proche pour faire vibrer les tôles de l’avion sur le parking.
Le 14 avril, le dernier avion maintenu sur place (un C130) voit les obus de mortier tomber sur l’aéroport à chaque tentative de mise en route. Il finira par réussir à partir, emportant les derniers réfugiés détenteurs d’un passeport Français.
Le massacre peut maintenant continuer tranquillement…
Le 22 juin, la France lance l’opération Turquoise. Nos dirigeants ont finalement eu des remords. Mais l’opération Amaryllis restera toujours aussi controversée.
Nous sommes en détachement sur le sol Africain depuis le 10 mars 1994. Comme nous sommes un équipage Transall de l’escadron de transport tactique Bearn basé à Evreux, notre mission principale consiste à assurer le ravitaillement en vol (et l’alerte ravito) des avions de chasse Français déployés en Afrique.
Cette mission peut parfois être fastidieuse, surtout pour ce qui est de l’alerte. Mais les vols ravitailleurs sont passionnants. Il y a d’abord le fait de voir de près ces bêtes de course (oui, même le Jaguar !) et puis après la dernière livraison de carburant, l’avion est vide, donc tombé gauche et quartier libre ! En dehors du ravito, il y a toutes les missions de transport standard, le légumier vers Douala, l’oxygène pour les chasseurs à Abidjan, les posés de nuit (aux goose neck) à Bouar, mais aussi tous les petits terrain de brousse : Berberati, Mo baye…
Pour ce détachement nous sommes stationnés à Bangui. Nous logeons dans une villa louée par l’armée (bon, pas de panique, c’est quand même pas du 3 étoiles). C’est toujours nettement mieux que les campagnes ravito à Abéché, ou la seule distraction consiste à animer la chorale des petits enfants à la gueule de bois avec no copains chasseurs !
Ce soir du 7 avril 1994, j’ai décidé de ne pas sortir en ville et de me coucher tôt, l’Afrique à parfois des effets secondaires qui peuvent vous dissuader de toute envie de resto en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Il y a 2 jours, Le 6 avril 1994, en fin de journée, le Mystère XX du Président du Rwanda transportant également le président du Burundi a été abattu en finale à Kigali. Ca a évidement fait beaucoup causer dans les chaumières.
Vers 22 heures, je suis réveillé en sursaut : le COMAIR (Colonel qui commande tous les éléments de l’armée de l’air du site) fait irruption dans ma chambre. « On doit se préparer pour une opération ! Il faut transmettre à paris quels sont les moyens disponibles, et je ne trouve pas le CGT (commandant du groupement de transport) ! Bon, j’ai compris, pas de repos ce soir. J’ai une petite idée de l’endroit où je peux retrouver l’individu en question. Je saute dans la boubou, et après 2 ou trois boites, je retrouve la troupe au grand complet. Je leur dresse le topo, et tout le monde se dirige vers le camp. Mais que faire de plus ? Le CGT reste sur place, et les équipages vont se coucher, cette fois ci pour de bon, ça risque de servir pour les jours à venir.
Le lendemain, ça fourmille dans le petit bureau des OPS du camp de M’poko. L’opération porte le nom d’Amaryllis (c’est quoi ça Amaryllis ? Ils font chier avec leurs noms à la con !) et devrait se déclencher ce soir. Discussion avec le CGT : il m’apprend royalement que nous ne seront pas de la partie. Notre avion (le F201) étant un ravitailleur, son déficit de charge offerte le rend inintéressant pour la mission projetée (un aller retour Bangui Kigali sans arrêt moteur sur place). Je suis mûr ! Je passe la nouvelle à mon équipage qui n’en pense pas moins. En y réfléchissant 18 ans après, je trouve ça drôle ce besoin d’aller se faire casser la gueule !
La journée se passe quand même en calculs divers et variés : quantité mini de carburant, charge offerte, quelle est la menace sur place, quels terrains sont ouverts en route en cas de problèmes ? Au fil des heures, la situation évolue. Il va falloir mettre le paquet, et notre ravitailleur à charge offerte réduite va devoir participer. Il est même question de faire venir le Transall de Libreville.
Le soir arrive, tout est prêt, 151 gars du RPIMA embarquent dans les 4 avions. L’heure de décollage approche, on briefe rapidement, on est remontés comme des tendeurs ! Nous décollons en numéro 4 à une minute du 3 que nous suivons au RADAR (en surveillant les échos renvoyés par une balise qu’il embarque à cet effet). Montée au niveau de croisière (un petit 150 pour commencer, standard Transall en Afrique !) avec la routine qui s’installe : on ajuste la position par rapport à l’avion qui est devant, on surveille la météo (les cunimbs Africains ne sont pas nos amis) on gère le pétrole (il n’y en aura pas de trop sur une mission comme celle là) on calcule des points critiques.
La météo se dégrade, on est IMC. Soudain, une lumière attire mon regard à ma gauche. Je tourne la tête, il y a une sorte de flammèche qui court dans le lit du vent à partir du bord d’attaque. Je n’ai jamais vu ça, c’est plutôt joli. J’en informe Jean Louis, le mécanicien assis en place centrale. La réponse ne se fait pas attendre : « putain, on a un dégivreur qui crame ! » Ah oui tiens ? Il a raison maintenant que j’y pense ! L’antigivrage du Transall est assuré par des résistances chauffantes sur les bords d’attaques. Ils se mettent parfois en court jus. J’ai eu ce phénomène un jour sur une hélice lors d’un décollage de Metz. Ca produit un assez joli disque flamboyant. Cette fois là on était retourné se poser, pour constater que l’hélice composite était bouffée jusqu ‘au longeron. Aujourd’hui, pas question de faire demi tour. D’une part, nous n’avons perdu qu’une section du dégivrage de l’aile gauche, d’autre part, la mission mérite qu’on force un peu.
Et puis bon, on va peut être échapper au gros mauvais temps cette nuit ! Du coup le Radar météo devient le centre du poste de pilotage. Il faut dire que depuis quelques minutes, il est devenu d’un vert beaucoup trop éclatant pour mon goût. Question d’harmonie : pas de vert criard dans un avion kaki ! La plaisanterie ne dure pas longtemps. Nous voila immergés dans un de ces enfers Africains dont Zeus a le secret. Des turbulences incroyables (ça va derrière ? Ca dégeule normalement !), des éclairs aveuglants, la glace qui accroche partout où elle peut (la section de bord d’attaque en panne s’est transformée en bonhomme de neige) et pour finir, de la grêle ! Le vacarme est tel qu’il faut hurler pour parler au copi.
Heureusement, tout ça s’arrête aussi vite que ça a commencé. Et rapidement, nous voilà en ciel clair. Ca tombe bien parce que le but du voyage se rapproche, et comme il est prévu de se poser sans phares, autant qu’il fasse beau. Il est également prévu de ne contacter personne… « Kigali, Kigali, des Magistra »…. « Quel con ce leader ! Ca ressemble à quoi ? » Exclamations et onomatopées diverses dans la cabine… Revenons à nos moutons, la zone de Kigali est maintenant en vue. Des lueurs à droite.
Manu, le copi annonce : « Tiens, ils tirent des fusées éclairantes ? »
Jean Louis : « Ca ressemble plus à du 20 mm… »
Manu : « Oh M….. »
On sert les fesses un peu plus fort et on continue. L’atterrissage ne pose pas de problèmes, la nuit est assez claire. En revanche, arrivé dans l’ombre des hangars, on n’y voit pas grand-chose. Il y a dans ce petit espace 4 avions moteurs tournants, 151 gars qui débarquent, des hangars à peine visibles… Je décide de ne pas allumer le phare de roulage et d’y aller au juger. On débarque tout le monde et on redécolle à notre tour. Après décollage, on garde 14500 tours, la PMC. Tout le monde a envie de s’éloigner de ce sol peu amical, il faut dire qu’on ne sait pas trop ou en sont les rebelles. Le numéro 3 est resté sur place, il rapatriera les premiers ressortissants français. Le voyage retour est nettement plus calme, les cunimbs ont perdu de leur énergie, et nous aussi : ça roupie dur dans le cockpit !
On se pose à Bangui après 8 heures de vol. Tout le monde est vanné (presque tout le monde, je crois qu’un mec nav d’un autre équipage est allé directement en boite à sa sortie du camp) il est donc temps d’aller prendre un repos bien mérité, d’autant plus que l’opération n’est pas finie.
En effet, nous y retournerons 2 fois dans le cadre du pont aérien qui s’est monté. Je me rappelle que la dernière fois, les tirs de mortiers étaient assez proche pour faire vibrer les tôles de l’avion sur le parking.
Le 14 avril, le dernier avion maintenu sur place (un C130) voit les obus de mortier tomber sur l’aéroport à chaque tentative de mise en route. Il finira par réussir à partir, emportant les derniers réfugiés détenteurs d’un passeport Français.
Le massacre peut maintenant continuer tranquillement…
Le 22 juin, la France lance l’opération Turquoise. Nos dirigeants ont finalement eu des remords. Mais l’opération Amaryllis restera toujours aussi controversée.