Souvenirs d'un pilote de III
Publié : ven. déc. 28, 2007 12:26 pm
En perdant un peu de mon précieux temps ce matin, je suis tombé sur les états d'âmes d'un acien conducteur de III reconverti en chauffeur de 37... comme il y en a beaucoup de nos jours... et j'ai retenu 2 textes qui sont techniquement intéressants !
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***Delta plaisir [08/09/2006] - Auteur : jfgarmy
Beaucoup pensent que l'aile delta des Mirage de la génération des Mirage III ou 5 était un désastre dans les basses vitesses. Je ne peux pas laisser dire ça sans réagir : on n’est jamais à basse vitesse en Mirage !
Plus sérieusement : l’aile delta en transsonique est intéressante, mais pas parfaite, loin de là. Le recul du point d’application de la portance en transsonique impose un recul du manche (un braquage à cabrer des élevons, en fait) important (impressionnant !) lors de l’accélération.
En supersonique, on a donc un neutre du manche beaucoup plus en arrière, une traînée des élevons plus importante, mais surtout vers M 1.5 une possibilité de manœuvre largement diminuée parce qu’on arrive à la butée à cabrer du manche vers un truc dans le style 3 ou 4 g… Il vaut mieux ne pas être en piqué franc à ce moment là… (10 000ft, 90° de piqué, M 0.95, ça passe plus : faut sauter !) Inversement, en décélération franche sous facteur de charge, le centre de poussée aérodynamique avançant d’un seul coup au passage du Mach et les élevons étant encore braqués pour le supersonique sous facteur de charge, ça donne un truc sympatoche appelé pitch up (c’est pas du golf, même si ça peut se finir dans un trou… ).
Un truc dans le style : « Tel le bandit caché dans le soleil, je vais lui tomber dessus avec la vitesse de l’obus et l’énergie de la foudre »… Là, on serre doucement pour ne pas overshooter la trajectoire du jambon qui ne nous a même pas vu, on donne un coup d’œil à l’armement, un coup d’œil au badin : M1,2… On laisse descendre un peu le nez… Voilàààà ! Encore un petit nautique…. Soudain : « Ventre Saint-Gris ! Son contrôleur a du lui donner une info, voilà que ce rascal vire vers moi ! ». Alors on serre un peu plus, un poil de pied, bêtement. Quelques vibrations, rien de grave… Et puis boum ! Patatras ! D’un seul coup d’un seul, on passe de 4 à 7 g, à 38 000ft… Le demi poil de pied idiot ramasse la mise et « Ah ! Là, là ! Thierry, mais c’est incroyable ! C’est énorme ! A quelques secondes du tir foudroyant qu’on croyait acquis, voilà que le chasseur vient de déclencher dans une supeeeerbe boule de condensation ! Une bien belle image !
Et c’est une superbe vrille ! »… En quelques secondes on passe de 38000ft, M1,1 à 12 000ft, 200kt… Et de chasseur quasi victorieux à jambon-le-cul-tout-rouge… Peu glorieux, le pitch-up… Si tout va bien, ça fait un joli déclenché et une petite frayeur. Si tout va mal, ça fait une « jolie » vrille. Et en delta, la vrille, c’est moyen.
Pour revenir au delta et aux basses vitesses. Il ne faut pas perdre de vue que la finesse max est aux alentours des 280 kt… et qu’en dessous on est dans le second régime. Vous savez, l’instabilité de propulsion, le truc de la mort qui tue… L’approche s’effectue à 185 kt au passage du seuil de piste. On est donc dans le second régime depuis à peu près 100kt… Et la courbe de poussée nécessaire au vol montre que plus on va lentement, plus il faut de poussée pour garder une vitesse stable. C’est la fameuse instabilité de propulsion, qui existe pour tout appareil sauf qu’en général on ne va pas aussi loin dans le second régime…
En clair : si tu laisses la vitesse s’échapper de 5kt (dans un sens ou dans l’autre) et que tu ne fais rien, en quelques secondes, ton échappée sera à 15 puis à 20 kt… Si c’est en trop, ça peut faire une remise de gaz ou un atterro particulièrement long, voire une barrière… Si c’est en moins, ça fait une conférence de presse avec les taupes comme dirait mon estimé collègue Palmito…
L’avantage de cet inconvénient, c’est que la « pelle à tarte bi-sonique » est un véritable aérofrein (AF) en elle-même : il suffit de lui mettre un coup d’incidence pour avoir un super AF… Du coup ça permet des trucs sympas du style : arrivée au break à 450kt, break un peu serré, en réduisant un peu. Au fur et à mesure que la vitesse chute, on gère plus l’incidence que le facteur de charge. Si c’est bien fait, on dégauchit en vent arrière avec juste 210 ou 220 kt.
Train sorti. Un petit coup de gaz en poussant un peu sur le manche pour annuler l’incidence et reprendre 260 – 265 kt (vitesse limite train sorti, trappes verrouillées : 270 kt) et hop ! on part en dernier virage. Là, il faut serrer, nez à peine au dessus de l’horizon sans toucher à la manette. Le taux de chute est de l’ordre de 2000 ft/mn. Au bout de 90°, on seeeeere ! La bête vibre, s’ébroue, tressaute. Si c’est très bien fait (mais c’est pas tous les jours… ), toujours sans toucher à la manette, on dégauchit face à la piste avec juste les 190 kt syndicaux, 185 aux balises, arrondi un peu avant la barrière.
A 155 kt, la bête quitte le ciel, parachute, freinage aérodynamique, le nez bien haut… 100kt on accompagne la roulette de nez jusqu’au plancher des Salers, freinage, on serre le bord de la piste, on « tourne le cul » vers la verte, largage du parachute. Et on reprend une respiration normale. Enfin… ça, c’est quand on a 500 ou 600 heures sur la bête (trois ans à voler dessus) et que tout ce passe bien.
Pour raconter comment ça fait quand ça va moins bien, il faudrait des heures, avoir les deux mains libres pour parler d’avion comme il faut et quelques décoctions de houblon… Quand on fait son premier dernier virage, sur biplace, même avec l’aut’ derrière qui se marre (mais qui est là pour rattraper les c… ries), on a franchement l’impression que « ça va pas le faire du tout… ».
Et pour revenir à la réputation d’avion faiseur de veuves du Mirage, je ne pense pas, je suis même convaincu du contraire, que le Mirage ait été un avion « dangereux ». Il était même plus sain que pas mal d’autres trucs volants. Il était particulier et à ce titre nécessitait une formation particulière sur biplace qui n’existait pas au début du IIIC sur lesquels les jeunes se lâchaient tous seuls, en venant du Mystère IV.
Bien sûr il y a eu des vrilles dont les pilotes ne sont pas sortis (et j’ai perdu un de mes meilleurs copains de promo comme ça), mais je ne sais pas si les statistiques sont si catastrophiques que ça pour le Mirage. Encore un fois, il était particulier, mais extrêmement sain à basse vitesse.
Bien sûr, il grognait, vibrait, tressautait à tout va, mais on pouvait quand même lui relever le nez là où la plupart des chasseurs partaient en vrac.
N’oublions pas qu’il a équipé la plupart de nos Escadres de combat pendant des années et qu’il est normal – statistiquement – qu’il y ait plus d’accidents de Mirage que de Jaguar. Enfin, la période Mirage marque la fin d’une époque où la sécurité des vols et la politique d’emploi et d’entraînement des forces n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui (... où l’aviation était dangereuse et le sexe était sûr ).
On perdait l’équivalent d’un escadron par an (18 pilotes) et, si tout le monde en était navré, personne ne trouvait ça aberrant. L’arrivée des biplaces (pour la formation initiale sur avion de combat), le renforcement de la sécurité des vols, l’arrivée des biplaces (opérationnels), le changement de mentalité après la fin de la guerre froide, l’internationalisation de l’entraînement, les changements de tactiques de combat ont – à mon avis – plus participé à la diminution des statistiques funestes que la fin du « vrai » delta (celui du 2000, avec des becs et des commandes à fils, étant un truc de minets ). Alors, c’est vrai qu’on avait coutume de dire qu’en Mirage, la mission commençait au break.
C’était vrai au début, quand on ne l’avait pas en main. C’était vrai aussi que, même avec de l’expérience sur la bête on se méfiait toujours, toujours. Mais pas de lui qui était très, très sain et fidèle dans ses réactions. On se méfait de nos propres réactions et de l’excès de confiance que génère l’expérience. Parce que là, oui, le delta savait te rappeler à l’ordre vite fait. Mais ça reste l’avion le plus fabuleux qu’il m’ait été donné de piloter. Par contre, vu son équipement, pour faire la guerre, il y avait mieux…
Dernière chose, « l’avion des veuves », le F 104, était à mon avis une sacrée merdouille… Je n’en ai fait qu’une fois en backseat, mais – alors que les vitesses étaient similaires à celles du Mirage – l’absence d’ailes (ou presque) le rendait bizarre, sournois, vicieux… bref pas terrible. Déjà, mettre un stick-pusher sur un avion de combat, c’est un signe… Ce truc-là, mon vieux, c’était un peu spécial. C’est le seul avion dans lequel je sois monté et dont tu ne vois pas les ailes depuis la place arrière. C’est bon pour la visibilité, mais pas terrible pour le vol... Et, hormis le fait qu’ils soient de la même génération, et qu’en combat ils pouvaient rivaliser, on ne peut guère les comparer.
L’un était un moteur profilé et empenné, l’autre était un avion.
Jeff Hypertrophié du Deltoïde !
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***Si le moteur y s’arrête, ça tombe [20/09/2006] - Auteur : jfgarmy
Je ne connais pas la finesse du Harrier en temps normal, mais si le moteur s’arrête il doit normalement planer, à condition d’avoir de la vitesse au départ. En stationnaire, il est clair que la procédure est simple : percée Martin Baker, finale Aérazur. Si le moteur du Mirage s’arrête ce n’est guère différent mais il n’y avait pas de situation où l’on pouvait se trouver arrêté à quelques mètres du sol… Heureusement, d’ailleurs parce que le domaine du siège exigeait d’avoir au moins 90kt pour réussir une éjection au sol. Sur chasseur mono réacteur, la procédure est assez simple en cas de panne moteur : ça rallume, c’est bien ; ça rallume pas, boum ! on s’en va. Et comme il faut un minimum de temps pour rallumer, il n’est pas envisageable de le tenter si l’on n’a pas une énergie considérable. Ceci dit, nous nous entraînions régulièrement à effectuer des prises de terrain en configuration de panne moteur en Mirage. En langage militaire, ça s’appelle un ACTC (Atterrissage en Configuration Turbine Coupée), ce terme devant remonter à l’époque des stagiaires de Père Ader.
En 5F ou en IIIE, ça se commençait à 15000ft, verticale terrain, à 45° de l’axe de la piste – c'est-à-dire avec 225° de virage à faire – pour un circuit en forme de goutte d’eau. Il fallait sortir le train assez vite pour qu’il ait le temps de sortir en secours avec le moteur en moulinet. Début de dernier virage vers les 8000ft.
Si à 5000 ft le train n’était par verrouillé ou que la présentation semblait mal barrée : boum, dehors ! Viser le premier tiers de piste en maintenant 240kt en finale. Débuter une sorte d’arrondi vers 500ft, peaufiner un peu sur la fin, prévoir un engagement de la barrière. Globalement ça devait être ça si mes souvenirs sont exacts.
En entraînement, la remise de gaz était obligatoire à 1000ft. Il faut aussi préciser que cette procédure n’était pas à exécuter en cas de panne moteur, mais en cas de doute sur son fonctionnement (dans le style ingestion d’oiseaux induisant des paramètres moteur douteux).
Elle permettait de se garantir de rester dans le domaine du siège (Mk 4), domaine qui se rétrécissait comme une peau de chagrin dès que le vario devenait négatif. Si je me rappelle bien, en gros, on pouvait s’éjecter si l’altitude était supérieure à la moitié du taux vario. Ce qui fait qu’en dernier virage normal ou en finale normale on sortait du domaine du siège vers 800 ou 400ft.
Et comme la bête était au second régime depuis 280kt et que l’on faisait des finales à 185kt, il ne fallait pas trop espérer casser beaucoup la trajectoire en tirant sur le manche… Pour revenir à l’ACTC : si le moteur était vraiment arrêté : éjection.
Ça, c’était la procédure, mais il y aurait eu deux cas d’ACTC réels effectués sur Mirage par des chibanes sur des vraies pannes moteur. Chapeau bas.
Juste pour rire, si mes souvenirs sont exacts, la finesse du Mirage montait aux alentours de 5 à 280kt.
Mirage vs Harrier aux Malouines : Il est clair qu’il y a eu pas mal de pertes de Mirage aux Malouines face à face au Harrier.
Plusieurs facteurs sont à prendre en compte. Je pense que le Harrier est redoutable à basse altitude, mais il ne faut surtout pas oublier le facteur principal dans cette affaire : les Mirages opéraient depuis leurs bases sur le continent à l’extrême limite de leur rayon d’action, avec les bidons de 1700 litres, des bombes à larguer forcément en très basse altitude et très probablement sans aucune couverture radar.
Contrairement aux Britanniques qui eux étaient près de leur zone de ravitaillement et bénéficiaient d’une couverture radar… A mon avis la plupart des pilotes qui se sont fait abattre n’ont jamais rien vu venir et les vrais combats ont du être assez rares.
D’autant que le seul salut des Argentins était dans la fuite vu le fuel qu’ils avaient. Ou plutôt qu’ils n’avaient pas…
Nous avions entendu dire à l’époque que plusieurs pilotes argentins s’étaient éjectés au large, au retour, par manque de pétrole. Et l’eau n’est pas très chaude dans le coin. Pour la petite histoire, l’échange que nous avions fait avec les anglais de Gutersloh avait eu lieu peu après la guerre des Malouines. Et les anglais arboraient un petit sourire en coin en pensant connaître les performances du Mirage… Et nous on se méfiait beaucoup, vu les statistiques des Malouines.
La suite a montré que le delta avait une belle carte à jouer vis-à-vis du VTOL… Et les sourires en coin ont disparu…
La patrouille serrée en nuages : Ce n’est pas un truc toujours très facile car effectivement il y a des nuages où l’on ne voit pas grand-chose. En général, quand ça devient trop dense, on se serre tout contre son leader en encastrant un peu et en reculant, avec un peu plus d’étagement négatif que la normale pour garantir un minimum de sécurité. Ça permet de garder en vue le saumon de l’aile du leader.
Il faut savoir que les nuages stratiformes sont assez homogènes avec une visibilité en général acceptable pour faire de la patrouille serrée sans problème, contrairement aux nuages cumuliformes (y compris le stratocu) où la visibilité évolue de quelques dizaines de mètres à presque rien. En plus dans les cumulo-XXX, en général, ça turbule.
Ce qui fait qu’effectivement, on peut être amené à perdre de vue le leader. Si ça dure plus de quelques instants (on va dire moins d’une poignée de secondes), il y a une procédure à exécuter, pas très compliquée en soi, mais qui pose différents problèmes : D’abord, la décision de l’exécuter : comme c’est quelque part un constat d’échec, c’est pas gagné de la décider au bon moment.
D’autant qu’on sait qu'elle marque en général le début du show vu qu’il va falloir soit se retrouver pour continuer la mission (et il y a des fois où ça risque de prendre du temps, donc du pétrole… ), soit se séparer définitivement avec l’aide du contrôle et percer individuellement.
Ensuite, après l’annonce radio immédiate et impérative, la procédure est différente en fonction de la phase de vol (montée, descente, virage, ligne droite, équipier à l’extérieur de virage ou à l’intérieur… ). Donc il va falloir analyser un minimum la situation. Vite.
Puis il va falloir exécuter une manœuvre très simple en elle-même, mais qui s’effectue alors que l’on vient de passer du vol à vue (suivre son leader en plein milieu d’un cunimb de nuit, c’est techniquement du vol à vue, si si..) aux vols aux instruments.
Et comme je le disais l’autre jour pour des circonstances différentes, c’est une transition et toute transition est délicate pour l’esprit humain.
C’est une phase d’autant plus délicate que cette manœuvre et les circonstances génèrent souvent des vertiges (des illusions sensorielles normales mais parfois très, très gênantes).
On peut ainsi passer en quelques secondes d’une situation paisible à une situation de catastrophe. (La patrouille serrée en nuage est une procédure habituelle et quasi quotidienne, pour ne pas dire routinière. Elle ne devient délicate que dans les gros nuages méchants ou de nuit si ça s’éternise… ).
Jeff