INTERVIEW AVEC UN PILOTE DE YAK-9 - PARTIE 1
En essayant de mettre en place une date et un lieu pour l’interview avec “notre”pilote, nous avons eu à son égard l’impression d’un homme strict qui préfère garder sa vie privée et rester à l’écart du public. Une autre chose qui nous inquiétait était le fait qu’il disait avoir volé sur 15 types d’appareils ce qui nous a un peu laissé perplexes.
Nous étions donc inquiets mais pleins d’espoir pour le mieux. En rencontrant cette personne, nous nous sommes retrouvés avec cet homme de 83 ans, sympathique, à la poignée de main forte, avec une très bonne mémoire (nous avions apporté quelques images des cockpits du jeu et il a aimé apporter des précisions sur eux et pensait qu’ils étaient assez bons) et surtout un homme honnête sans langue de bois.
Il nous a demandé à rester anonyme car il ne souhaite pas être exposé au public donc tout ce que nous pouvons dire, c’est que l’interview a eu lieu en Israël et que nous nous réfèrerons à lui dans l’interview en tant que “A”.
Etant donné que nous avions un interprète (NdT : même deux maintenant
) nous nous pouvons pas affirmer que nous l’avions citée au mot près mais nous avons fait notre mieux pour en conserver l’esprit et les faits.
Nous n’avons eu qu’une heure pour faire l’interview, voici donc, très résumée, son histoire : “A” est né à Gomel en Biélorussie en 1923. En 1939, à l’age de 16 ans, il rejoint un aéroclub dans la ville d’Odessa et apprend à piloter des Polikarpov-2 pendant 1 an. Il rejoint l’armée à 17 ans bien que l’incorporation se fasse à 18. Il en a été autorisé après avoir envoyé une lettre au Ministre de la Défense. En septembre 1940 il rejoint l’Ecole de l’air d’Odessa, qui fut déplacée (sur ordres) avec l’approche de la guerre à Stalingrad où ils étaient 1000 étudiants. Quand la guerre a éclaté, il a été envisagé de convertir 600 étudiants en soldats de l’armée régulière mais cela fut abandonné et tous ont pu continuer leurs études du vol. Ils ont commencé l’entraînement sur Po-2 (Biplan Polikarpov) puis sur Polikarpov UTI-4 (monoplan) et ensuite sur I-16.
En 1941 quand la guerre a commencé, l’école fut déplacée près du Don et alors que les Allemands se sont approchés à 100 km l’école fut re-déplacée au Kazakhstan où ils se sont entraînés sur Yak-1. A cette époque tous les instructeurs étaient envoyés au combat et de nouveaux instructeurs étaient choisis parmi les étudiants. ” A” en a faisait partie. ”A” a servi comme instructeur jusqu’en octobre 1944. Puis il fut décidé d’envoyer les instructeurs “au feu” afin de les aguerrir et qu’ils puissent par la suite revenir et transmettre leurs connaissances aux étudiants. “A” a été affecté au ”1er Front Biélorusse” où il pilotait le Yak-9T en tant qu’escorte rapprochée pour des Il-2. L’unité était placée sous le commandement d’un commandant d’artillerie et leur objectif était de défendre des Il-2 qui transportaient un officier d’artillerie en lieu et place du mitrailleur arrière et qui devaient localiser les unités allemandes et informer l’artillerie de leurs activités. Ils volaient à entre7 et 9 appareils par vol – 1 Il-2, entre 4 et 6 Yak-9T en escorte rapprochée (pas plus de 500 m entre appareils) et 2 autres en escorte de haute altitude.
Q: Aviez vous une radio à bord ?
A: Seul le leader et son n° 2 avaient une radio à deux voies, tous les autres n’avaient qu’un récepteur.
Q: Quels étaient les avions allemands auxquels vous étiez confrontés ?
A: Principalement des Bf-109, des FW-190 et aussi des Ju-87.
Q: Avez vous rencontrés des chasseurs allemands ?
A: Non, à cette époque de la guerre, les allemands étaient affaiblis et ils n’auraient pas attaqués un grand groupe de chasseurs juste pour descendre un ou deux appareils.
Q: Avez vous essayé de chasser les avions allemands ?
A: Non, notre boulot était de protéger notre précieux Il-2. Lui permettre de se faire descendre n’était pas une option.
Q: Avez vous rencontré des tirs AA ?
A: Nous connaissions leurs emplacements alors nous les contournions. J’ai été touché une fois seulement et mon trim a été endommagé.
Q: Quelle était votre place dans le vol ?
A: J’étais n° 2 du leader de l’escorte.
Q: Est ce que vous voliez beaucoup et subissez la fatigue du combat ?
A: Non, on avait du temps libre – parfois on ne volait pas pendant une semaine et on n’avait rien à faire.
Q: Combien de sorties avez vous faites sur le front biélorusse ?
A: 25.
Q: Aviez vous des problèmes à toucher vos cibles avec le canon de 37mm du Yak?
A: Non, il avait beaucoup de recul mais je visais bien et je n’avais pas de problème pour toucher des cibles.
Q: Le Yak était-il exigeant physiquement ?
A: Pas du tout, nous volions à 400 ou 450 km/h et il n’y avait pas tellement de charges à cette vitesse.
Q: A quelle hauteur utilisiez vous le compresseur (supercharger) ?
A: Nous l’activions et utilisions les masques à oxygène au dessus de 5000 m mais comme je ne volais généralement pas si haut je ne l’utilisais pas.
Q: Comment gériez vous le pas d’hélice ?
A: Nous nous l’utilisons que pour les longues distances pour économiser le carburant sinon il était à 100%.
Q: Comment trouviez vous le Yak-9?
A: Je l’aimais beaucoup. Il était très bon, fiable et simple. Il pouvait être piloté même par un pilote moyen. Il était facile à décoller et à faire atterrir. Il n’avait pas de cockpit compressé et pas de chauffage ce qui fait qu’il faisait très froid en hiver – on devait utiliser des vêtements arctiques. On avait l’habitude d’avoir nos réservoirs remplis à bloc ce qui dégradait la maniabilité de l’avion. Les “chasseurs” parmi nous qui volaient s’attaquer aux allemands avaient leurs réservoirs remplis partiellement pour une meilleure capacité au dogfight. Le Yak-3 était meilleur et avait un cockpit mieux organisé sans toutes ces jauges de radiateurs comme sur le Yak-9, les français du Normandie Niémen l’ont eu.
Q: Qu’avez vous fait après la Biélorussie ?
A: J’y suis resté jusqu’à la fin de la guerre en Europe, puis nous sommes allés en Mongolie combattre les Japonais de la même façon qu’en Biélorussie. J’ai fait 2 sorties de combat et la guerre était terminée.
Q: Et après la guerre ?
A: Je suis devenu chef d’escadron (NdT : où alors il s’agit du grade ? pour info squdron leader est aussi un grade dans la RAF équivalent au grade de Commandant). J’ai piloté les La-9, La-11, Mig-15, Mig-17. J’aurais du m’entraîner sur Mig-19 mais en 1958 l’armée de l’air a dû procéder à des coupes budgétaires et le programme a été stoppé.
Q: Quel était l’avion que vous avez préféré ?
A: Les Mig-15/17, ce sont presque les mêmes.
Q: Et pour les chasseurs à hélices, Lavochkin et autres ?
A: Je préférais le Yak. Il était beaucoup facile à faire décoller et atterrir.
Q: Vous utilisiez beaucoup le palonnier pendant les décollages ?
A: Ce n’était pas tellement un problème. Après que la roulette de queue soit levée, je devais utiliser plus les pédales pour compenser la déviation accrue à cause du couple moteur.
Q: Que s’est-il passé après ces coupes budgétaires ?
A: On m’a offert d’être le commandant en second avec position de chef de wing (NdT : meilleure traduction à trouver) mais ma femme a dit “ça suffit” et j’ai quitté l’armée aérienne avec une pension complète.
Q: Preniez vous le vol comme un travail où vous aimiez vraiment ça ?
A: Oh j’adorais vraiment voler et j’aimerais toujours voler aujourd’hui.
Espérons qu’il y aura une autre rencontre avec “A” dans laquelle nous lui montrerons le jeu et lui poserons quelques questions supplémentaires.
Un grand merci à “A” pour sa coopération d’une façon aussi sympathique et patiente.
Merci également à Leonid qui fut notre interprète Russe / Hébreux.