La miraculeuse escadrille d'avions torpilleurs
Publié : dim. août 30, 2015 12:58 am
En version « originale » anglaise « The miraculous torpedo squadron ». Derrière ce titre un peu bizarre se cachent les mémoires d’un pilote d’avion d’attaque (autrement dit bombardier-torpilleur) de la Marine Impériale Japonaise, Juzo Mori. Le texte est disponible sur un site de vente en ligne bien connu mais en version électronique seulement.
Une de mes lectures les plu intéressantes de l'été, les témoignages de pilotes de l'aéronavales japonaises étant relativement rares.
Le parcours de Mori est particulièrement intéressant.
Il est né en 1917 et quitte son village pour "monter" à la capitale, Tokyo, où il décide par hasard d'intégrer la Marine. Il réussit l'examen d'entrée et intègre un cours de préparation au pilotage à Kamisaugara le 1er juin 1936. La sélection est particulièrement sévère puisque sur les 180 du cours, seuls 52 présentent l’examen final et 2 sont retenus dont Mori. Fin mars 1937, il rejoint le cours de pilotage avec 70 élèves venant de tout le Japon, dont Saburo Sakai. Après des tests physiques et d’aptitude au pilotage, 39 élèves-pilotes sont autorisés à poursuivre la formation. Son écolage, démarré le 1er avril 1937 prend fin officiellement le 30 novembre 1937.
Le lendemain, Mori est affecté au Kokutai de Tateyama où il commence immédiatement un entrainement de 4 mois en tant que pilote de bombardier-torpilleur. Il vole sur Mitsubishi B2M ou plus probablement Yokosuka B3Y
Le 28 avril 1938, Mori est affecté en Chine au 12ème Kokutai où il va effectuer des missions de bombardement et d’appui au sol. Il vole alors sur Yokosuka Type 96 B4Y puis, début septembre 1938, il passe sur Nakajima Type 97 B5N Kate. Il termine son tour d’opération en décembre 1938 et retourne au Japon après avoir effectué 96 missions et 762 heures de vol en 9 mois.
Le 4 janvier 1939, Mori retourne à Kamisaugara en tant qu’instructeur. Les temps ont changé : la Marine a besoin d’équipages et les instructeurs doivent veiller à ce qu’aucun élève ne soit éliminé en cours de formation ! En un peu plus de deux ans, Mori entraine 8 cadets… c’est-à-dire très peu pour un pays en plein effort de guerre !
En septembre 1941, Mori est affecté au Kokutai d’Omura pour se qualifier sur porte-avion. Quelques jours plus tard, il touche au graal de tous les pilotes navals en effectuant son premier appontage. Il rejoint ensuite le groupe aérien du Soryu . Il vole alors sur le Kate codé 312 avec lequel il participe au raid dur Pearl Harbour et torpille le California. Son Kate est cependant touché par la dca et il devra amerrir à coté d'un destroyer. Sur le chemin du retour au Japon, la 2ème division de p-a est détournée sur Wake et Mori participe à l'attaque finale sur l'atoll. Son nouvel avion est de nouveau touché par la dca et Mori, furieux, en est quitte pour un nouveau bain. L'escadre rejoint finalement le Japon et Mori et son groupe quitte le bord le 29 décembre.
Après avoir passé le nouvel an en famille, Mori réembarque le 13 janvier 1942. Après un passage à Peleliu, Mori et ses camarades regagnent le Soryu le 15 février et le 19, c'est le raid sur Darwin au cours duquel Mori se contente d'assurer la protection de la flotte. Son escadrille reçoit ensuite des avions neufs à Kendari, aux Célèbes, avant de participer au raid de la Flotte Combinée dans l'Océan Indien; Mori participe à l'attaque sur Trincomalee au cours de laquelle son chutai, abandonné par les Zeros d'escorte, joue à cache-cache dans les nuages avec des Spitfires.Sans casse...
Le Soryu regagne le Japon et, le 23 avril, son groupe aérien est débarqué. Mori s'entraine dans la baie de Kagoshima pendant un mois puis, le 26 mai, il rembarque sur le Soryu où il apprend le lendemain que la Flotte Combinée attaquera l’atoll de Midway le 5 juin. Le 5 au matin, Mori fait partie du groupe d'attaque lancé sur l'atoll. Après l'attaque, alors qu'il s'apprête à apponter, il est pris dans la riposte américaine, d'abord celle des B-17 puis celle des avions de Midway. Dès l'attaque terminée, les avions appontent en urgence car les niveaux d'essence ont dangereusement baissé. Les Kate sont descendus dans les hangars et les pilotes se retrouvent à la ready-room. C'est là qu'ils sont surpris par l'attaque des Dauntless américains. Mori parvient à s'échapper indemne de l'enfer et le destroyer Makigumo le ramène au Japon. Il débarque le 24 juin 1942.et il est transféré à la base navale de Kanoya où, à sa grande surprise et colère, il est mis au secret. Au bout de deux semaines, les survivants du groupe aérien du Soryu sont réorganisés et vont constituer une nouvelle unité affectée directement au porte-avion Junyo. Le groupe rejoint la base de Kasanohara où il commence son entrainement sur les ordres du lieutenant Ito. Problème : l’officier est inexpérimenté au point que ses pilotes refusent de voler en opération avec lui en tant que leader... la suite leur donnera raison...
Pendant ce temps, la bataille de Guadacanal fait rage et les bombardiers du Junyo (et de son frère jumeau le Hiyo) vont être engagés contre Henderson Field. Le raid a lieu le 17 octobre 1942 et c'est un désastre dû, selon Mori, à l'incompétence du leader qui interrompt au dernier moment le bomb run et ordonne un nouveau passage. Les 8 Kate du Junyo (l'un d'eux a fait demi-tour) sont abattus par les Wildcats; Mori perd sa main droite dans l'engagement mais il parvient à amerrir d'urgence en vue des côtes de Guadalcanal tenues par l'armée japonaise. S'ensuit un calvaire de 3 semaines sur l'île jusqu'au 6 novembre et son évacuation par destroyer. Mori retourne au Japon où il est hospitalisé et il quitte définitivement la Marine le 18 juin 1943. Il reprendra cependant du service en juillet 1944 et servira comme instructeur jusqu'à la fin de la guerre.
Mori décrit parfaitement l'ambiance, les moeurs, de la Marine Impériale, ainsi que les opérations aériennes auxquelles il a participé. Il donne des détails très intéressants. Ainsi, lors de l'attaque sur Pearl Harbour, Mori est n°2 derrière son chef qu’il voit mettre une torpille au but. Il va lancer lorsqu’il se rend compte que sa cible n’est pas un cuirassé mais seulement un croiseur. Mori, qui est venu pour mettre sa torpille dans un cuirassé, décide alors de dégager et de refaire un passage ! Je dois dire que je n’avais jamais entendu parlé de ce genre de choses mais il faut dire que peu de monde a dû prendre le temps d'observer en détail les actions des avions torpilleurs ce jour là, que ce soit d'un côté ou de l'autre.
Je suis un peu moins convaincu par certaines remarques d'ordre tactique, stratégique ou politique, qui "sentent" l'après-guerre. Ainsi, alors qu'il s’entraîne avant Pearl Harbour en effectuant des attaques simulées contre les cuirassés de la flotte japonaise, Mori prétend que lui et ses camarades étaient persuadés que la future guerre serait aéronavale et que le Japon aurait mieux fait de construire des porte-avions plutôt que des super cuirassés comme le Yamato; il appuie son affirmation sur l'expérience de la guerre en Chine qui, selon lui, avait déjà largement démontré l’importance de la puissance aérienne. Si Mori a raison, les simples pilotes japonais étaient beaucoup plus clairvoyants que beaucoup d’éminent officiers généraux et d'états-majors de par le monde, y compris les leurs !
Quoiqu'il en soit, malgré quelques approximations et erreurs de traduction (et parfois de date), un excellent texte à lire absolument pour ceux qui s'intéresse à la guerre du Pacifique et à l'aéronavale japonaise... et qui lisent l'anglais.
Une de mes lectures les plu intéressantes de l'été, les témoignages de pilotes de l'aéronavales japonaises étant relativement rares.
Le parcours de Mori est particulièrement intéressant.
Il est né en 1917 et quitte son village pour "monter" à la capitale, Tokyo, où il décide par hasard d'intégrer la Marine. Il réussit l'examen d'entrée et intègre un cours de préparation au pilotage à Kamisaugara le 1er juin 1936. La sélection est particulièrement sévère puisque sur les 180 du cours, seuls 52 présentent l’examen final et 2 sont retenus dont Mori. Fin mars 1937, il rejoint le cours de pilotage avec 70 élèves venant de tout le Japon, dont Saburo Sakai. Après des tests physiques et d’aptitude au pilotage, 39 élèves-pilotes sont autorisés à poursuivre la formation. Son écolage, démarré le 1er avril 1937 prend fin officiellement le 30 novembre 1937.
Le lendemain, Mori est affecté au Kokutai de Tateyama où il commence immédiatement un entrainement de 4 mois en tant que pilote de bombardier-torpilleur. Il vole sur Mitsubishi B2M ou plus probablement Yokosuka B3Y
Le 28 avril 1938, Mori est affecté en Chine au 12ème Kokutai où il va effectuer des missions de bombardement et d’appui au sol. Il vole alors sur Yokosuka Type 96 B4Y puis, début septembre 1938, il passe sur Nakajima Type 97 B5N Kate. Il termine son tour d’opération en décembre 1938 et retourne au Japon après avoir effectué 96 missions et 762 heures de vol en 9 mois.
Le 4 janvier 1939, Mori retourne à Kamisaugara en tant qu’instructeur. Les temps ont changé : la Marine a besoin d’équipages et les instructeurs doivent veiller à ce qu’aucun élève ne soit éliminé en cours de formation ! En un peu plus de deux ans, Mori entraine 8 cadets… c’est-à-dire très peu pour un pays en plein effort de guerre !
En septembre 1941, Mori est affecté au Kokutai d’Omura pour se qualifier sur porte-avion. Quelques jours plus tard, il touche au graal de tous les pilotes navals en effectuant son premier appontage. Il rejoint ensuite le groupe aérien du Soryu . Il vole alors sur le Kate codé 312 avec lequel il participe au raid dur Pearl Harbour et torpille le California. Son Kate est cependant touché par la dca et il devra amerrir à coté d'un destroyer. Sur le chemin du retour au Japon, la 2ème division de p-a est détournée sur Wake et Mori participe à l'attaque finale sur l'atoll. Son nouvel avion est de nouveau touché par la dca et Mori, furieux, en est quitte pour un nouveau bain. L'escadre rejoint finalement le Japon et Mori et son groupe quitte le bord le 29 décembre.
Après avoir passé le nouvel an en famille, Mori réembarque le 13 janvier 1942. Après un passage à Peleliu, Mori et ses camarades regagnent le Soryu le 15 février et le 19, c'est le raid sur Darwin au cours duquel Mori se contente d'assurer la protection de la flotte. Son escadrille reçoit ensuite des avions neufs à Kendari, aux Célèbes, avant de participer au raid de la Flotte Combinée dans l'Océan Indien; Mori participe à l'attaque sur Trincomalee au cours de laquelle son chutai, abandonné par les Zeros d'escorte, joue à cache-cache dans les nuages avec des Spitfires.Sans casse...
Le Soryu regagne le Japon et, le 23 avril, son groupe aérien est débarqué. Mori s'entraine dans la baie de Kagoshima pendant un mois puis, le 26 mai, il rembarque sur le Soryu où il apprend le lendemain que la Flotte Combinée attaquera l’atoll de Midway le 5 juin. Le 5 au matin, Mori fait partie du groupe d'attaque lancé sur l'atoll. Après l'attaque, alors qu'il s'apprête à apponter, il est pris dans la riposte américaine, d'abord celle des B-17 puis celle des avions de Midway. Dès l'attaque terminée, les avions appontent en urgence car les niveaux d'essence ont dangereusement baissé. Les Kate sont descendus dans les hangars et les pilotes se retrouvent à la ready-room. C'est là qu'ils sont surpris par l'attaque des Dauntless américains. Mori parvient à s'échapper indemne de l'enfer et le destroyer Makigumo le ramène au Japon. Il débarque le 24 juin 1942.et il est transféré à la base navale de Kanoya où, à sa grande surprise et colère, il est mis au secret. Au bout de deux semaines, les survivants du groupe aérien du Soryu sont réorganisés et vont constituer une nouvelle unité affectée directement au porte-avion Junyo. Le groupe rejoint la base de Kasanohara où il commence son entrainement sur les ordres du lieutenant Ito. Problème : l’officier est inexpérimenté au point que ses pilotes refusent de voler en opération avec lui en tant que leader... la suite leur donnera raison...
Pendant ce temps, la bataille de Guadacanal fait rage et les bombardiers du Junyo (et de son frère jumeau le Hiyo) vont être engagés contre Henderson Field. Le raid a lieu le 17 octobre 1942 et c'est un désastre dû, selon Mori, à l'incompétence du leader qui interrompt au dernier moment le bomb run et ordonne un nouveau passage. Les 8 Kate du Junyo (l'un d'eux a fait demi-tour) sont abattus par les Wildcats; Mori perd sa main droite dans l'engagement mais il parvient à amerrir d'urgence en vue des côtes de Guadalcanal tenues par l'armée japonaise. S'ensuit un calvaire de 3 semaines sur l'île jusqu'au 6 novembre et son évacuation par destroyer. Mori retourne au Japon où il est hospitalisé et il quitte définitivement la Marine le 18 juin 1943. Il reprendra cependant du service en juillet 1944 et servira comme instructeur jusqu'à la fin de la guerre.
Mori décrit parfaitement l'ambiance, les moeurs, de la Marine Impériale, ainsi que les opérations aériennes auxquelles il a participé. Il donne des détails très intéressants. Ainsi, lors de l'attaque sur Pearl Harbour, Mori est n°2 derrière son chef qu’il voit mettre une torpille au but. Il va lancer lorsqu’il se rend compte que sa cible n’est pas un cuirassé mais seulement un croiseur. Mori, qui est venu pour mettre sa torpille dans un cuirassé, décide alors de dégager et de refaire un passage ! Je dois dire que je n’avais jamais entendu parlé de ce genre de choses mais il faut dire que peu de monde a dû prendre le temps d'observer en détail les actions des avions torpilleurs ce jour là, que ce soit d'un côté ou de l'autre.
Je suis un peu moins convaincu par certaines remarques d'ordre tactique, stratégique ou politique, qui "sentent" l'après-guerre. Ainsi, alors qu'il s’entraîne avant Pearl Harbour en effectuant des attaques simulées contre les cuirassés de la flotte japonaise, Mori prétend que lui et ses camarades étaient persuadés que la future guerre serait aéronavale et que le Japon aurait mieux fait de construire des porte-avions plutôt que des super cuirassés comme le Yamato; il appuie son affirmation sur l'expérience de la guerre en Chine qui, selon lui, avait déjà largement démontré l’importance de la puissance aérienne. Si Mori a raison, les simples pilotes japonais étaient beaucoup plus clairvoyants que beaucoup d’éminent officiers généraux et d'états-majors de par le monde, y compris les leurs !
Quoiqu'il en soit, malgré quelques approximations et erreurs de traduction (et parfois de date), un excellent texte à lire absolument pour ceux qui s'intéresse à la guerre du Pacifique et à l'aéronavale japonaise... et qui lisent l'anglais.