Publié : mer. mai 26, 2004 8:24 pm
Août 1943
Nous sommes de retour. Tous. Je suis, encore une fois, à l’arrière de notre formation de 32 Heinkel-111 et c’est un plaisir sans cesse renouvelé que de nous voir tous rentrer à la base. Cette mission n’aura pas été facile, loin de là. Mais le Haut Commandement voulait cette usine de moteurs détruite, nous l’avons réduite en cendres. La DCA fut lourde mais imprécise, seuls quelques impacts sont à déplorer sur nos machines. Certains de nous fument ou ont des réservoirs percés mais nous le devons aux forces VVS. Ces satanés Ivan nous ont encore une fois mené la vie dure. Nous avons malgré ça gagné cette manche. Deux Yaks ont été aperçus plonger vers le sol, leur moteur crachant une épaisse fumée noire. Des probables qui se changeront en victoires confirmées si jamais on retrouve leurs épaves. Pour ce raid de bombardement, ma douzième mission, jamais je n’avais vu un tel dispositif mis en place pour une seule usine. Nous étions une centaine de bombardier avec au moins trois groupe de vingt chasseurs pour nous couvrir.
Nous ne sommes plus qu’à quelques minutes de la base, déjà les chasseurs nous lâchent, battant des ailes pour nous souhaiter un bon retour. Les anciens disent que dès que l’escorte part, la mission est finie. Il reste quand même à poser les machines dont certaines tiennent en l’air par je ne sais quel miracle. Mon moteur droit a d’ailleurs été touché et une fuite de liquide de refroidissement devient de plus en plus critique à mesure que la température du moteur augmente. Au loin, je distingue la base, enfin la forêt qui borde notre base. Nous y serons dans quelques instants. Je donne l’ordre à mon équipage de se mettre en position pour l’atterrissage. La procédure implique que les appareils les plus touchés se posent en premier, suivis par les appareils intacts. Je suis le numéro 8 à me présenter. Soudain, une secousse déstabilise l’appareil. Le moteur droit vient de lâcher ! Me concentrant trop sur l’atterrissage, je n’ai pas vu que la température avait atteint le seuil critique.
« Atterrissage d’urgence ! »
En même temps que donner l’ordre de se mettre en position d’atterrissage d’urgence à mon équipage, je débraye l’hélice et la met en drapeau.
« Ici Gustav 16, mon moteur droit vient de lâcher, je répète mon moteur droit vient de me lâcher »
« Ici tour de contrôle, bien reçu Gustav 16, vous êtes prioritaire sur finale. »
Tant bien que mal, je parviens à maintenir l’appareil en vol, tout en voyant Gustav 15 et 29 se poser devant moi. Décidément, la mission n’est pas terminée. Je rentre dans le circuit de l’aérodrome. Je compense la perte du moteur par des actions au palonnier et sur la manche. Je pousse les gaz du moteur gauche à fond, je sors les trains. Je m’aligne avec la piste, volant légèrement en crabe. Ca y est, Gustav 29 vient de dégager la piste, je peux me poser. Je sors tous les crans de voler et réduit légèrement la puissance moteur. Je passe le seuil de la piste. Je suis trop rapide. Je tire la manette des gaz, mettant la puissance à 0. L’avion réagit, il n’aime pas ces changements brusque, le moteur crache aussi. Le Heinkel s’enfonce vers le sol. Le touché est assez brutal, secouant toute la carcasse de l’appareil. J’écrase les freins, alors que je suis déjà au tiers de la piste. Finalement, il s’immobilise. Déjà les pompiers aspergent le moteur droit de mousse alors que mon équipage saute hors de la carlingue. Je les suis. L’appareil est rapidement poussé hors de la piste pour continuer le ballet des atterrissages. Tous se posent sans encombres.
Arthur, le chef mécanicien, s’approche.
« Eh bien, qu’est ce que vous lui avais fait encore ? »
« Impact dans le moteur droit, je n’ai pas pu maîtriser sa température. »
« Il suffisait de changer sa richesse. J’en connais des gars qui sont rentrés avec des moteurs plus touchés, et qui tournaient encore ! »
« Oui mais … »
« Allez mon gars, te tracasse pas, on a reçu des nouveaux moteurs hier, on t’en mettra un tout neuf. »
C’est une chose qui était très particulière sur cette base, les mécaniciens étaient très familiers avec les pilotes à qui ils considéraient qu’ils prêtaient leur avion. Ce qui n’était pas faux e un sens. Alors que sur d’autres bases, en Europe de l’Ouest surtout, les relations pilote – mécanicien étaient d’un tour autre genre. Mais j’aimais cela. Ca favorisait la bonne entente générale et le bon fonctionnement de la base.
Une fois tous les appareils posés, je remarquai une activité étrange autour de moi. Les appareils valides étaient réapprovisionnés immédiatement en carburant et munitions tandis que les blessés étaient pris en charge par tous les mécaniciens disponibles. Comme s’il était impératif que tous les appareils devaient être prêts à reprendre l’air dans une heure, voire moins.
« Arthur, qu’est ce qu’il se passe ici ? »
« Une grosse mission se prépare pour demain, à ce qu’on dit. »
Nous sommes réveillés à 7h15 pour un briefing à 8h10 avec le Kommandant de la base. Lorsque j’arrive, la salle est bondée, tous les équipages sont là, en plus des habituels pilotes et navigateurs. A leurs regards, beaucoup ne comprennent pas ce qu’ils font là, c’est la première fois qu’ils assistent à un briefing. William m’a gardé une place à sa gauche, et je mets bien trois bonnes minutes à le rejoindre. Le Kommandant fait son entrée. Silence dans la salle.
« Messieurs, nous sommes dans une situation de crise extrême. »
La lumière se tamise et une diapositive d’un chantier naval apparaît sur le mur blanc. Le Kommandant commence son discours.
« 1938, chantiers navals de Blohm & Voss, Kiel… un audacieux cambriolage a lieu dans les bureaux de la société. Si des valeurs ont évidemment été dérobées, l’objectif des ‘visiteurs’ résidait ailleurs : ils sont venus en réalité pour photographier les plans des nouvelles unités navales Allemandes, et plus particulièrement les plans des navires de la classe « Bismarck », soit ceux du Bismarck et ceux de son ‘sister-ship’, le Tirpitz !! Le vol d’argent n’était là que pour cacher les vraies raisons de qui était en réalité un opération d’espionnage… Les auteurs du vol sont restés inconnus de nos services. Il s’est avéré que c’est le GRU (le renseignement militaire russe) qui a commandité l’opération sous l’ordre de l’Amirauté Soviétique. Après des mois de travail acharné, et malgré l’invasion allemande, les soviétiques ont construit dans leur grande base de Sevastopol une réplique du Tirpitz. Peu avant l’évacuation de la ville, le navire a été vu en direction du port de Batumi, tout à l’est de la Mer Noir, où la dernière main à été donnée à sa construction. Le nom du navire est : Frontoyov. Il y restera jusqu’à Octobre 1942. Le nouveau bâtiment soviétique prend alors sa première croisière durant laquelle il sera procédé des dernières mises au point. Divers défauts de fabrication vont en effet apparaître durant cette croisière inaugurale durant laquelle le Frontoyov a ordre d’éviter non seulement le combat mais simplement d’être repéré par nos services, et ce à tout prix. En effet, la construction de ce navire a été jusqu’alors des secrets les mieux gardés par les soviétiques. Mais les secrets finissent toujours pas être dévoilés. Le 28 octobre 1942, une panne de transmission survient sur le navire. Une de ses hélices propulsives a en effet été endommagées par une mine flottante durant la nuit précédente. Les dommages sont légers mais suffisants pour ralentir le fier bateau. Le même jour, un sous-marin U-143 au Kommando der Kriegsmarine Krim, Odessa : ‘Grosse unité ennemie de type inconnu repéré dans le carreau J-5. Navire ennemi avance lentement, cap au 135, probablement en raison d’une avarie quelconque. Sommes à court de torpilles et ne pouvons entreprendre aucune action offensive, mais demeurons sur zone pour surveillance. Cela peut paraître étrange mais le navire en question ressemble beaucoup à notre Bismarck’ »
La tension est maintenant palpable dans la salle. Aucun n’ose parler, ni même tousser. Un navire de type Bismarck aux mains des russes ?! Dans la pénombre, les visages sont figés, abasourdis par la nouvelle. Certains prennent quelques notes.
« Voici les ordres que j’ai reçu. Je vous les lis tels quels. ‘Kommando der Kriegsmarine Krim à Kommando Luftwaffe : Gros navire ennemi de type inconnu repéré par U-boot. L’unité semble souffrir d’avaries car il avance lentement. Lancez attaque immédiatement pour couler navire de classe inconnue.’ »
C’est l’officier responsable de la mission qui repris la parole. Jamais le silence n’aura régné aussi longtemps et aussi pesamment qu’aujourd’hui. Tous avons le souffle coupé, c’est une consternation silencieuse.
« Vous décollerez par groupe de trois appareils pour gagner du temps. Rapidement, vous vous mettrez en formation serrée et resterez à basse altitude. De cette manière, vous éviterez de croiser la route d’éventuels chasseurs russes. Votre route vous mènera directement sur la mer, ayant pour inconvénient de rendre la navigation plus difficile mais l’énorme avantage d’éviter les patrouilles terrestres qui pourraient rendre compte de votre formation et de votre objectif, le Frontoyov étant le seul bâtiment pouvant nécessiter un tel déploiement de force dans la région. Comme l’a dit notre Kommandant, décollage immédiat, cap approximatif au 150.»
Je vois William qui prend autant de notes que possible, grimaçant comme jamais. La mer, ça n’est jamais bon à prendre pour un aviateur, surtout au ras des flots. Une erreur d’altitude, une houle un peu forte, ou un moteur défaillant et c’est le crash. Nous sommes en été, la saison chaude, mais l’eau reste glaciale dans cette région et les chances de survie très minces, surtout que Ivan a pris pour habitude de mitrailler les carcasses flottantes pour ne laisser aucun survivant.
« A mi chemin environ, vous serez rejoints par les Heinkel du IV./KG27. Ils sont équipés de bombes de 2,000kgs qui seront larguées à 5,000mètres. Les torpilleurs, vous, conserveront leur altitude alors que les bombardiers maintiendront le même cap mais en montée, se faisant, ils vont prendre du retard et pourront larguer leurs bombes quand vous aurez dégagé la zone, c’est à dire trois minutes après que vous ayez largué les torpilles. »
Une attaque combinée ? Ca n’a jamais été tenté. Pas même sur un port où les bateaux sont immobiles et relativement sans défense. Et à deux minutes d’intervalle ! Et si nous sommes en retard ? Et si ils sont en avance ? Pas le temps d’y réfléchir, le briefing n’est pas fini.
« Vous volerez en formation en échelon jusqu’au point de rendez-vous avec les appareils du IV./KG27, de là, vous vous reformerez en ligne avec deux appareils de front. Chaque paire devra larguer ses torpilles en même temps et chaque paire sera espacée de 1 seconde, voire moins. Faites aussi rapide que possible. Ainsi, il y aura un flot continu de torpilles sur le navire et chaque paire pourra s’ajuster en fonction des changements de cap éventuels du Russe. Chaque paire suivra la trajectoire définie par celle la précédant, ajustant la visée au fur et à mesure de l’attaque. Les torpilles seront larguées à leur distance maximale, et chaque bombardier, responsable de sa paire, devra annoncer le largage. Il est crucial de couler le navire mais avec le minimum de pertes, d’autres opérations de grande envergure sont prévues dans les jours à venir, or la DCA de ce bâtiment a été analysée comme extrêmement puissante. Votre mission, en tant que torpilleurs, sera d’immobiliser définitivement le navire ennemi, et de déclencher plusieurs incendies. Les bombes du IV./KG27 auront pour objectif d’envoyer le bâtiment par le fond. »
Et bien, la fête promet d’être folle.
« Un ‘Condor’ a été dépêché pour relever la position du Frontoyov et vous la transmettra pendant le vol. Vous êtes consignés au silence radio le plus total avant l’identification visuelle de l’objectif. Vous n’êtes pas autorisés à répondre au Condor, il ne faut pas que les Russes soient sûrs d’une attaque imminente. Si vous venez à être attaqués par des chasseurs sur le chemin aller, votre mission est d’une priorité absolue, resserrez la formation et visez leurs moteurs… »
Un pilote se lève, interrompant le discours.
« Et l’escorte ? » C’est Werner Juks, un des plus anciens pilotes de l’escadrille, un de ceux qui pouvaient se permettre ce genre d’interruptions.
« Vous serez seuls pour l’aller, mais 6 Messerschmitt-109 et 5 Focke-Wulf-190 assureront votre retraite. »
Juks se rassoit, en grognant. Il n’aimait pas partir au front ‘seul’, comme il disait. Il avait toujours aimé les escortes, au moins pour leurs effets psychologiques sur les équipages. Le briefing touchait à sa fin.
« Une fois votre chargement largué, vous rentrerez à la base avec le cap le plus direct, l’escorte vous attendra ici. » dit-il en pointant un carreau sur la grande carte dépliée. « Juks sera leader de l’escadrille. Votre indicatif sera Blitz. Pour les autres, vos positions respectives sont indiquées sur ce tableau, je vous invite à en prendre connaissance. »
« Le décollage est prévu à 9h17. Bonne chance messieurs. »
A ces derniers mots, le silence se rompit aussi rapidement qu’il était arrivé. Tous se mirent à commenter la mission à venir, et une fois dehors, se dirigeaient vers leurs appareils respectifs. C’est également ce que je fis, accompagné de William. Le reste de l’équipage nous rejoigna quelques minutes plus tard.
Il était prêt. Il était là, il nous attendait. Arthur et son équipe venait de finir de le préparer. A peine sommes nous arrivés que nous montons à bord les uns après les autres, moi en dernier, comme d’habitude. Chacun prit rapidement sa place. Souvent les gens aiment bien rester aussi longtemps que possible dehors et ne rentrer qu’une fois obligés. Chez nous, c’était l’inverse, on préférait s’imprégner de la mission en attendant le décollage assis à nos postes, silencieux.
9h10. Je lance les moteurs, sous l’œil d’Arthur. Doucement, je pousse les manettes et les moteurs ronronnent. L’avion oscille un peu, les cales sont enlevées. Nous roulons vers la mission. Aujourd’hui, nous ne sommes que 24 à prendre le départ, les autres appareils sont trop endommagés ou en révision à cause de la mission d’hier. Arthur a tout donné pour que je puisse prendre part à cette aventure. Peut-être a-t-il signé mon arrêt de mort en faisant ainsi. Peut-être que ce sera la mission dont je ne reviendrais pas. Je lui fais un signe de la main, nous sommes parés. Il me renvoie mon signe et se retourne vers le hangar. Il n’aimait pas nous voir partir, il ne voulait voir que les atterrissages. Une sorte de superstition qui m’avait porté chance jusqu’à présent, je m’y pliais volontiers.
Ca y est, nous sommes en place sur le taxiway, je descends les deux crans de volets pour le décollage et jette un dernier regard sur mes instruments, tout est en ordre. Je suis le numéro 20 à prendre l’air, encore en fin de formation, la place des jeunes pilotes. C’est également une position qui permet d’avoir le maximum de piste pour le décollage, une position que j’affectionne particulièrement, même si je rêve, un jour de pouvoir prendre la place de Juks, d’être le premier de la file, de leader toute une formation. La fusée verte est lancée. Les uns après les autres, les bimoteurs poussent leurs moteurs à plein régime, s’élancent sur la piste en herbe et prennent l’air par groupe de trois. Le Kette qui nous précèdent vient de se lancer, la poussière dégagée nous empêche de voir à plus de 40 mètres devant nous, il nous faut attendre qu’elle se dissipe un peu, en plus de toute celle levée par le groupe. En fait, j’attends de voir les moteurs de mon RotteFuhrer crachoter du noir, signe du décollage. Trois secondes. Cinq. Dix. Ca y est. Je pousse les manettes à fond. La mission vient de commencer.
Conformément au plan de vol, nous nous regroupons en échelon. La mise en formation est effectuée en suivant le cap vers l’objectif, pas question de perdre du temps et du carburant au dessus de l’eau. Nous sommes maintenant trois formations. Les deux premières sont constituées de trois Kette et la dernière de deux Kette. Cela nous permettra de nous mettre en position défensive très rapidement si nous sommes attaqués. Nous volons tous à la même altitude, ce qui est assez inhabituel mais nécessaire pour la bonne réussite de la mission. Après à peine dix minutes de vol, nous voilà tous au dessus de l’eau, la Mer Baltique. Nous filons à 80% de la puissance maximale, inutile de traîner sur les terrains dangereux, surtout à si basse altitude. Etant à l’arrière de la formation, je n’ai que peu de responsabilité, sinon que de rester en formation. Mes yeux sont rivés sur l’aile de mon RotteFuhrer, et je prends quelques secondes à regarder le paysage. Mais il n’y a rien à voir, malheureusement. A cette vitesse, l’eau défile tellement vite qu’on ne peut y apercevoir quoique ce soit malgré sa clarté apparente et sa faible houle. Le soleil levant se reflète à l’horizon, cela me ferait presque oublier que je suis en mission de guerre. Quant à mon équipage, il surveille le ciel. La visibilité est excellente, c’est un temps parfait pour voler, quelques nuages se promènent, juste pour donner de la couleur dans le ciel matinal. Double tranchant qu’est ce temps, s’il nous est bénéfique pour la navigation, il l’est pour Ivan pour nous repérer, de plus, à cause de l’urgence de la mission, le camouflage n’a pas été modifié nous arborons toujours un camouflage en tons de vert alors que nous sommes au dessus d’une eau bleue. Si jamais Ivan passe par ici, c’est sans difficultés qu’il nous verra. Enfin, j’espère qu’il ne viendra pas. La vitesse est maintenue constante, la pression d’huile est normale, la température des moteurs légèrement en dessous de la normale mais rien d’alarmant, et nous continuons dans le sillage des 19 torpilleurs qui nous précèdent. Le point de rendez-vous est encore à plus d’une demi-heure de vol. La monotonie commence à faire son effet. Je me retourne pour voir Heinz qui balance doucement sa mitrailleuse de gauche à droite. Surveille-t-il le ciel ou chantonne-t-il en attendant un cri d’alerte ? Impossible à dire, mais tout semble calme pour lui. Quant à Josef, allongé dans le ‘lit du mort’, il n’aura, pour une fois, pas à craindre les tirs venant de la DCA ou des chasseurs qui prennent la mauvaise habitude glisser sous notre ventre. Certains pilotes ont même renoncé à prendre leur mitrailleur ventral, voulant gagner du poids et le pensant inutile. Pour ma part, j’ai insisté à ce qu’il vienne, qu’il puisse prendre part à cette mission importante, et lui faire savoir qu’il fait partie de notre équipe autant que autres, bien qu’il ne nous ai rejoint que tardivement, remplaçant notre regretté Otto, abattu par un éclat de DCA il y a 10 jours.
Filant au ras des flots, j’aperçois des silhouettes au loin, sur notre gauche. William et Heinz me confirment que ce sont bien les Heinkel du IV./KG27 venus nous épauler. Décidément, ce silence radio risque de nous coûter cher si on ne peut même plus prévenir l’approche d’une formation amie. Une erreur d’identification visuelle étant si vite arrivé. Ils sont au nombre de 36, en trois formations de quatre Kette, tous armés d’une bombe de 2,000kgs. Leur leader bat des ailes, ils sont avec nous. C’est Juks qui prend le commandement des deux formations. Son bombardier est un as en navigation. Le IV./KG27 se placent au dessus de nous, superposant leur formation à la notre.
Nous changeons de cap et prenons la direction de la dernière position connue du Frontoyov. La formation tend à se resserrer d’elle-même bien qu’aucun ordre n’ait été donné en ce sens. La tension des pilotes est bien palpable, en se rapprochant, on se protège mieux face aux chasseurs ennemis, même si le pilotage est rendu plus délicat. Nous sommes devenus un groupe compact, nous ne formons plus qu’un.
Cinq minutes après nous avoir rejoins, le IV./KG27 amorce sa montée, silencieusement. Heinz finit par les perdre de vue. La radio est silencieuse, rien ne doit révéler notre présence. Même les interphones sont muets, mes yeux sont rivés sur l’aile de mon leader ceux de mon équipage scrutent les cieux, du moins je l’espère car je ne peux que voir William qui, malgré sa position inconfortable, surveille sa portion de ciel. Durant le voyage vers la cible, aucun chasseur ennemi ne sera vu.
La radio se réveille. C’est le FW200 ‘Condor’ qui appelle. Il a repéré l’objectif ! Immédiatement, il nous annonce les coordonnées précises du bâtiment russe. Il est accompagné de trois frégates, un destroyer ainsi que quelques vedettes et autres navires sans importance. C’est toute une flotte à qu’il va falloir faire face, et parmi tout ça, ne cibler qu’un seul d’entre eux. Le nouveau cap étant donné, toute la formation oblique légèrement à droite. Heinz voit le soleil se refléter sur les carlingues du IV./KG27 alors qu’ils changent de cap également. Nous ne sommes plus qu’à quelques minutes de l’objectif.
« Achtung ! Chasseur ! » C’est le Condor qui appelle. « Nous sommes attaqués ! » Le pilote a dû laisser son interphone branché, inadvertance ou défaut du matériel. D’habitude, ce genre d’incident a plutôt un aspect comique car on y entend toutes les réflexions du pilote sur sa mission alors qu’il croit parler seul ou uniquement à son équipage, mais ici, c’est à l’agonie d’un appareil que l’on assiste. « Ils plongent ! » Bruits de mitrailleuses. « Sur le flanc gauche ! Karl ! Feu à volonté ! » De nouveaux, les mitrailleuses se font entendre. « Moteur 4 touché ! Descendez moi ces satanés Ivan ! » C’est maintenant tout l’équipage que l’on entend. « Joachim est mort, je prends sa place » Lorsque ce n’est pas l’équipage qui parle, on entend à tour de rôle les balles qui partent, mais pire encore, les balles et obus qui viennent frapper la carlingue du Condor, lui arrachant des morceaux de métal. « Attention, trois chasseurs ! Cinq heures haut ! Ils arrivent ! » Impuissants, nous ne pouvons qu’écouter cette sinistre et macabre scène. « Ici Adler, ici Adler, nous sommes sous l’assaut de plusieurs appareils russes, il y en a sûrement d’autres qui rodent. Gardez vos yeux bien ouverts. » Ce sera ses dernières paroles. Quelques grésillement accompagneront sa chute puis le silence revint sur la fréquence. C’en était fini du Condor, il avait rempli sa mission, au prix de sa vie. Se sachant seul, il n’avait même pas demandé d’assistance, ni même donné sa dernière position. Je regarde William, agrippé sur sa MG15. Oui, cela pourrait nous arriver. Cela nous arrivera sûrement. Dans cinq minutes ? Dix ? La prochaine mission ? Je ne préfère même pas y penser. Dans l’appareil à ma droite, je vois le bombardier et le mitrailleur ventral qui agitent leurs mitrailleuses, sûrement pris de panique à l’arrivée éventuelle de chasseurs. Combien d’entre nous périront au cours de cette mission ?
Sans émotion dans sa voix, Juks annonce qu’il met les gaz à fond. Le pauvre, il doit en avoir tellement vu et entendu pour ne plus être sensible à ce genre de tragédie. Il va nous servir d’éclaireur. Il ne s’est équipé que d’une seule torpille spécialement équipée d’un dispositif fumigène, qui permettra de nous donner un ciblage précis. Les minutes, les secondes commencent à se faire longues. Dans chaque appareil, cinq paires d’yeux fixent l’horizon à la recherche du convoi russe. Les avions se mettent à osciller les uns vers les autres, chaque pilote, cherchant le Russe, porte moins d’intérêt à la bonne tenue de la formation. Je n’échappe pas à la règle, mon appareil fait des embardées de plusieurs mètres, qui tantôt me rapprochant dangereusement prêt de l’appareil à ma droite, tantôt à gauche. En regardant ce ballet, il est étonnant de ne voir aucune collision.
C’est Juks qui donnera l’alerte après sept bonnes minutes. Le bâtiment est repéré dans ses deux heures. Lentement, toute la formation change de cap pour se mettre sur une trajectoire l’amenant sur le flanc du cuirassé. En même temps, nous changeons de formation. Chaque Kette se dissout et nous passons en Rotte. Rapidement, nous sommes prêts à attaquer.
Un cri dans les écouteurs vient briser cette harmonie.
« Achtung ! Chasseurs ! 4 heures haut ! »
« Je les vois, ils piquent sur nous ! Il y en a une dizaine ! »
Déjà les premiers coups de mitrailleuses fusent, mais des coups dans le vide, les chasseurs doivent être beaucoup trop loin, de mon poste, je ne peux pas les voir.
« Ici Juks, la mission reste prioritaire, ne vous dispersez pas ! »
Nous voilà des proies faciles, tous alignés correctement. Je me resserre sur mon RotteFuhrer à ma gauche pour concentrer les tirs de nos mitrailleurs dorsaux. Je vois que la paire devant nous fait de même, et ainsi de suite pour toute la formation. Je suis à l’arrière de la formation. Ils vont forcément concentrer leur feu sur moi, sur nous. Nous sommes perdus !
Etrangement, les Ivan nous passent sans tirer, ils semblent vouloir se concentrer sur les appareils de tête. Ils ont compris qu’on restera sur notre objectif quelqu’en soit le prix. En endommageant les appareils de tête, ils espèrent affaiblir le reste de la formation mais ils s’offrent à nos mitrailleurs. Cette technique est également utilisée par nos chasseurs, mais uniquement en attaque frontale, or les russes arrivent par l’arrière.
Déjà, un premier Heinkel se met à fumer, il perd son carburant et du liquide de refroidissement mais reste en position. La technique des Ivan a l’air de fonctionner, le nuage de kérosène enduit les pare-brise d’une fine couche qui s’opacifie de plus en plus. Je vois William, les doigts crispés sur sa MG15, qui tente vainement de toucher un Russe quand il passe en trombe devant le cockpit. Tout ce que je peux faire quant à moi c’est de m’enfoncer dans mon siège blindé à espérer qu’aucune balle n’aura la mauvaise idée de venir me frapper. Les Yaks finissent leurs passes et font un large virage à droite, en remontée. Par chance, leur visée n’est qu’approximative.
Les chasseurs s’apprêtent à donner le deuxième assaut. Les mitrailleurs latéraux tentent de former un barrage de balles mais rien n’y fait, les Yaks reviennent. Je vois les deux mitrailleurs dorsaux devant moi qui tirent pour repousser l’attaque. Seuls les ventraux sont à l’abris pour l’instant, pour une fois. Des Yaks s’en prennent à nouveau sur le Heinkel blessé. D’autres tirent de longues rafales, espérant endommager un des nôtres. Le Heinkel blessé, notre Numéro 4, sort lentement de la formation, son moteur droit crachant une fumée noire. Soudain, son réservoir s’enflamme et quelques secondes après, l’appareil explose avant même de toucher l’eau, projetant des débris dans le ciel. Lors de la même attaque, deux Heinkel larguent leurs torpilles prématurément et sont forcés de sortir de la formation. Ils prennent le cap de la base, se couvrant mutuellement. Ivan ne les poursuit pas. Il cherche à briser notre attaque, après il nous détruira un par un. Du moins, le croit-il. Au loin, un Yak se met à fumer. Il a été touché ! Il s’éloigne de la zone des combats en légère montée, sur notre flanc gauche, poursuivi par quelques traçantes.
« Torpille larguée ! »
Ca y est ! Au milieu de ce maelström, Juks a largué sa torpille. Notre attaque a commencé, sous les balles des chasseurs russes. Curieusement, le Frontoyov n’a pas encore tiré une seule balle ou obus de DCA. Bien que je ne puisse pas le voir, je ne vois pas ses traçantes. Il est impossible qu’il ne soit pas au courant de notre attaque et nous sommes dans la portée de sa DCA lourde, il doit mijoter quelque chose. La première paire devrait faire son largage dans moins de 5 secondes. Loin devant, j’aperçois Juks qui se détourne et prend un cap de fuite.
« Ici Juks, cap de sortie 241. Altitude 250. Vitesse 300. » Nous allons donc nous enfuir dans l’axe de poupe du navire, là où sa DCA est la plus faible et surtout, la moins dense.
D’un coup, le Frontoyov envoie toute sa DCA sur les premiers appareils, il voulait les avoir à bout portant. Il peut résister à quelques torpilles, celles larguées par les avions de tête, mais pas à celles de toute une formation. C’est littéralement un mur de plomb et de feu qui est lancé sur nous. La DCA lourde, restée muette vient de se déchaîner, alors que les premiers Heinkel larguent leurs torpilles, des plaques de métal sont arrachées. Des débris envahissent les cieux, et je ne peux rien faire pour les éviter. Nous sommes maintenant pris entre deux feux, d’un coté le Frontoyov et de l’autre par les Yaks, et ces torpilles qui nous ralentissent. Juks arrive miraculeusement a échapper à cet enfer, et je le vois faire calmement sa prise de cap, suivi de la première paire, également sauve.
Soudain, un Heinkel se fait arracher une aile. Un coup direct de la DCA lourde, à bout portant. En moins d’une seconde l’avion se retourne et s’écrase sur les flots dans une énorme gerbe d’eau. Alors que l’on passe au dessus, j’ai le temps d’apercevoir l’appareil complètement démembré qui commence à sombrer dans les profondeurs. J’ai à peine le temps de regarder ces malheureux qui luttent dans l’eau glaciale. Lors de ce bref passage, j’ai la triste sensation qu’aucun des membres de l’équipage ne semble avoir survécu au crash. Je ne prête plus attention à la formation, au Frontoyov, aux communications, à rien, mes yeux, mon esprit, sont rivés à ce drame. Je ne sais pas combien de temps je suis resté hypnotisé par cette scène, quelques fractions de secondes passant pour une éternité, mais je me rappelle comment j’en suis ressorti. Alors que le Numéro 14 me passe entre les jambes, une autre explosion se retentit, beaucoup plus proche, beaucoup plus intense. Elle fut si intense que j’en ai eu le souffle coupé, alors que William hurla devant le spectacle qui s’offrait à nos yeux. L’appareil qui me précédait venait de perdre une aile. Alors qu’il s’apprêtait à larguer ses torpilles, seul face à la DCA russe, en une fraction de seconde, son aile s’est arrachée et ses réservoirs ont pris feu par un coup direct d’un obus de 37mm. L’espace d’un instant, il est apparu rester en suspension dans l’air puis s’est effondré. Des dizaines de bouts de métal sont venus frapper le pare-brise, heureusement sans le fendre. La gerbe d’eau est montée jusqu’aux vitres inférieures du cockpit, les rendant quasiment opaques à cause de l’émulsion de carburant et d’eau. Josef, qui, par sa position, a pu voir le reste de la scène nous l’a décrite comme telle. « L’avion s’était retourné sur le dos, son aile droite à environ vingt mètres du reste de l’épave. Je pouvais voir le mitrailleur ventral qui essayait de se débattre pour sortir de la carlingue, mais en vain, frappant sur les vitres. En même temps, plusieurs rafales de petit calibre sont venues frapper son compartiment et l’avant du cockpit. J’ai cru voir un corps sortir de l’épave mais les remous l’ont emporté vers le fond. En une seconde, seule une aile en feu restait à la surface, comme une balise marquant l’endroit du désastre. »
Je n’ai pas le temps de comprendre ce qui se passe autour de moi, deux équipages sont tombés, ont été assassinés, et c’est à mon tour d’être en première ligne. C’est à moi, à nous, de larguer notre charge offensive. Je vois William qui, de son bras gauche, appuie nerveusement plusieurs fois sur le bouton déclencheur et d’un coup, l’avion fait un bond, indiquant que les torpilles sont parties.
« Torpilles à l’eau » hurla Josef, confirmant le largage.
Sitôt fait, je braque le manche à gauche pour me dégager. Ce n’est qu’un réflexe, je viens de voir une dizaine d’appareils faire de même, je ne réfléchis plus, j’agis. Je suis la formation, la troupe, la meute. Je fais tout pour rester dans l’aile de l’avion qui m’accompagne, ou que j’accompagne. Alors en plein virage, plusieurs impacts de DCA légère viennent impacter sur ma carlingue mais aucun blessé ni avarie à bord, a priori. La DCA lourde nous rate, ou nous ignore. Le Frontoyov disparaît de ma vision, pour rencontrer celle de Karl, qui le découvre, lui qui ne voit que sur nos flancs. Je l’entends qui lâche quelques dizaines de cartouches sur le Frontoyov, ou du moins dans sa direction, en proférant des injures aux marins. Josef fit de même quand une fenêtre de tir s’ouvra sur le Frontoyov. Toujours en plein virage, une plaque se fait arracher de mon Rottefuhrer et vient violemment frapper mon aile droite.
« Josef ! Karl ! Heinz ! On a été touchés ! Rapport des dégâts ! »
C’est Josef qui répondra le premier
« Ce n’est rien, juste de la tôle qui est un peu froissée. » me dit-il calmement.
« Rien à signaler » me répond Karl
« Aucun dégât visible pour moi » annonce Heinz
Ca y est, nous sommes de nouveau en place, à notre place, dans le Schwarm, sous les balles et obus de tous calibres. Les Yaks, je les avais complètement oubliés, nous avaient délaissés le temps que le Frontoyov nous crible de plomb, reviennent à la charge. Malheureusement pour eux, la DCA russe est toujours en action, plus intense que jamais, et ses balles ne font pas de différence entre un chasseur russe et un bombardier allemand. Je ne sais pas s’ils étaient en rage de ne pas avoir pu nous arrêter ou juste inconscients mais ces pilotes sont venus sur nous comme si de rien n’était. Bien mal leur en pris.
Un des spectacles les plus étonnant fut de voir un Yak se faire toucher par sa propre DCA. Alors qu’il s’apprêtait à faire une passe frontale, un pan entier de son empennage horizontal s’est détaché. Le pilote n’a pas eu le temps de s’éjecter et s’écrasa en mer. Quelques tirs venant des Heinkel tentèrent de toucher l’épave mais sans succès.
« Achtung ! Yak ! 3 heures ! »
En voilà un autre qui arrive. Il tente une passe sur nos flancs, notre talon d’Achille. Il vise notre Numéro 12. Il le rate. Sans raison apparente, je le vois faire une embardée sur l’aile gauche. La canopée se détache et le pilote s’éjecte rapidement. Qu’est ce qu’il a bien pu lui prendre ? Au moment où son parachute s’ouvre, son aile droite s’effondre à mi-envergure. Aucune de nos mitrailleuses n’est capable de faire ça, même avec nos meilleurs personnels. Encore un coup de la DCA russe.
« Regarde Werner, encore un qui pourra aller se plaindre à son commissaire politique préféré ! » William explose de rire, allant même jusqu’à lâcher sa mitrailleuse.
Tout ceci n’aura duré que quelques secondes, le temps pour les dernière paires de déposer leur charge mortelle. Les torpilles sont maintenant toutes larguées en direction des Russes, la formation avait conservé, tant bien que mal, sa structure initiale. Il était temps de passer en formation défensive, d’inspiration les « blocks » de bombardiers américains. Instinctivement, les lourds appareils se resserrent les uns des autres pour concentrer leur tir défensif sur les chasseurs.
« Cap 330. Altitude 200. Plein gaz les enfants ! » nous hurle Juks dans les écouteurs. « Formation défensive ! »
Mais c’était déjà fait. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le groupe était en train de se resserrer, formant un groupe compact, prêt à recevoir Ivan qui s’étaient éloignés de peur de rencontrer leur propre DCA comme leur deux petits camarades.
Les mitrailleurs dorsaux et ventraux ensuite aperçurent de nombreux impacts des torpilles sur le navire russe. Plusieurs secteurs avaient même des amorces d’incendies. Certaines torpilles quant à elles ont impacté sur les autres bâtiments, un cargo et une vedette notamment. De notre angle de vue, et avec la distance, il était impossible de savoir si notre mission avait réussi ou non, mais c’est alors que, selon les mitrailleurs toujours, les premières bombes sont tombées sur le convoi. En l’espace de 3 secondes, 36 bombes de 2 tonnes larguées depuis une altitude de 5,000m déferlèrent sur les navires. Les bombes encadrèrent le Frontoyov et l’une d’entre elles explosa sur l’avant du bâtiment. Un gigantesque incendie se déclencha et le bateau se mit à couler. Les bombardiers avaient 2 minutes d’avance. Un peu plus tôt et les bombes nous seraient tombées dessus. Le Haut Commandement avait peut-être prévu trop ‘juste’. Heureusement, il n’y eut pas de tir fratricide.
Cette attaque, depuis l’apparition des chasseurs jusqu’à l’explosion de la dernière bombe n’avait duré que 4 minutes. Une éternité.
« Achtung ! Chasseurs ! »
Mais ce n’est pas fini, loin de là, les Yaks, encore plus enragés par la perte du fleuron de leur marine, reviennent à la charge. Cette fois, ils tirent dans le groupe, sans distinction. Ils n’ont aucune stratégie de groupe. Chaque Sveno prend un Allemand pour cible et lui vident tout le plomb qu’ils ont. Seuls trois Svenos se concentrent sur une cible commune, notre numéro 17, au bout de la deuxième passe, ils arrivent à gravement endommager les deux moteurs, et mettre le feu à un réservoir de carburant. Le pilote du numéro 17 était Erich Feufhur, un des plus jeunes pilotes de l’escadrille, il venait à peine de finir son apprentissage Dans sa position désespérée, il sorti les volets d’atterrissage et le train, sûrement voulait-il se poser aussi doucement que possible. Malheureusement, dès que la première roue toucha une vague, l’avion bascula et se désintégra sous le choc, ne laissant aucune chance à l’équipage. Le pilote venait d’avoir 23 ans, et la moyenne d’age de l’équipage ne dépassait pas les 25 ans. Quatre autres appareils furent touchés mais ils réussirent à rester dans le groupe. Les Yaks, visiblement à court de munitions, sont repartis comme ils étaient venus, dans le soleil. Un Yak, un peu téméraire, tenta une dernière passe, seul. Bien mal lui en pris car tous les mitrailleurs dorsaux concentrèrent leurs feux sur lui et le descendirent. Il alla s’écraser un peu plus loin, aucun signe du pilote, mais nos mitrailleurs vidèrent quelques cartouches dans sa direction.
Le dernier Yak descendu, les bombardiers, qui nous avaient suivis jusque-là reprirent le cap de leur base, nous laissant à nous-mêmes. Peut-être allons nous pouvoir finir cette mission tranquillement. En les voyant s’éloigner sur notre droite, je remarque qu’aucun d’entre eux ne semblait manquer à l’appel mais plus étrange encore, aucun ne semblait avoir subit de dommages !
« Achtung ! Yaks ! »
Encore des chasseurs qui nous foncent dessus par l’arrière, et les munitions se font à manquer. Ils se rapprochent et se maintiennent derrière nous, trop loin pour qu’on puisse les identifier ou les faire fuir par des tirs de barrage. Je suis dans les deux dernières paires de la formation, leurs tirs vont se concentrer sur nous. Je me retourne et je vois Heinz et Josef s’agripper à leur MG15, des douilles vides recouvrant le plancher. Je ne prends même pas le temps de contempler les dégâts, je ne pense qu’à cette vision qui sera peut-être ma dernière, celle d’un équipage prêt à tout pour se défendre, jusqu’au bout, jusqu’à la mort.
Heinz m’annonce que les chasseurs se rapprochent lentement, une formation à notre altitude, une autre restée bien plus haut, ils seront bientôt à portée de tir.
« Ils battent des ailes ! Ils battent des ailes ! » hurle Heinz dans les écouteurs. « Ce sont des nôtres ! Ce sont des Messerschmitt !! C’est notre escorte ! »
Effectivement, les chasseurs, prenant de la vitesse, viennent se placer à notre hauteur, sur notre flanc droit.
« Ici Bertha leader, pardon pour les frayeurs occasionnées, mais nous voulions être sur que c’était vous. »
« Ici Heinkel leader, vous pouviez vous identifier avant. Heureux de vous voir avec nous. »
Quel soulagement ! Ivan allait enfin nous laisser tranquille ou du moins, on a maintenant quelqu’un capable de nous défendre efficacement.
Une fois la confusion passée, les Me-109 et FW-190 se sont mis à faire des S pour conserver leur vitesse sans pour autant nous dépasser. Cela faisait 10 minutes de vol quand les Focke-Wulf annoncèrent des chasseurs russes en approche.
« Ici Anton leader, on a des bandits dans nos 2 heures haut. On part les chercher. »
Selon le plan défini dans le briefing, les Focke-Wulf partent intercepter Ivan alors que les Messerschmitt restent en couverture rapprochée. Au cours du combat qui s’en suivi, hors de portée visuelle, 3 Russes furent descendus pour un FW190 endommagé, moteur fumant. Une partie des Messerschmitt durent cependant aller rejoindre les Focke-Wulf en sous-nombre et faire fuir les Russes, ce qui coûta un Me-109 de descendu.
Une fois les Russes en fuite, nos chasseurs se rassemblèrent en une formation unique environ 1,500m au dessus de nous. Le reste du voyage vers la base fut plutôt calme avec quelques fausses alertes dues à la fatigue des équipages qui croyaient voir des Yaks partout.
A environ 15 minutes de la base, une alerte sonna dans nos écouteurs : la base est attaquée ! Apparemment, il s’agit d’une petite force constituée d’une trentaine de Il-2 Sturmovik équipés de roquettes et bombes à fragmentation.
« Ici Anton Leader, la base est prioritaire. Tous les chasseurs avec moi ! »
Et nous voilà de nouveaux seuls. Heureusement, la ligne de front n’est plus très loin, nous serons bientôt du coté Allemand.
Malheureusement, le temps que les chasseurs arrivent sur place, les russes avaient déjà déguerpis, laissant derrière eux une base meurtrie. Une dizaine d’appareils semblaient détruits ou en mauvais état, dégageant d’épaisses fumées noires qui montaient à la verticale. Au moins, il n’y aura pas de vent pour se poser me dis-je. Quelques bâtiments semblaient également touchés, certains ayant la toiture détruite, d’autres les murs étaient tombés. Aucune victime n’était visible mais je doute qu’il n’y en ait pas. Leurs attaques telles que celle-ci étaient peu nombreuses mais relativement bien coordonnées et surtout diablement efficaces, des chasseurs en couverture haute protégeaient les Il-2 qui dévastaient tout ce qu’ils trouvaient. En effet, toutes les pistes furent rendues inutilisables de même que les taxiways étaient devenus impraticables sauf un où seule une bombe avait explosé à une extrémité. Nous aurions du être déportés sur un aérodrome de secours mais c’était le seul accessible avec le carburant qui nous restait.
Nous sommes arrivés environ treize minutes après les chasseurs, qui orbitaient autour de la base ne sachant quoi faire. La décision fut prise de se poser sur le taxiway qui restait praticable sur sa plus grande partie. « Ici Contrôle Sol, Anton Leader est autorisé à se poser sur taxiway 020 » C’est un Focke-Wulf qui allait lancer le bal, pour s’assurer que la manœuvre était possible. Ce taxiway faisait au moins les trois quart de la piste principal, c’est à dire plus de longueur qu’il nous fallait pour nous poser en temps normal, mais ce n’était pas un cas normal. Comme nous étions tous très limite en carburant, nous volions très proche du terrain, en hippodromes resserrés au maximum, ce qui nous permis de voir l’atterrissage du Focke-Wulf. Il s’aligna, sorti les trains et lentement s’enfonça vers le sol. Mais …. Il se dirige vers la piste !
« Anton Leader ! Vous êtes dans l’axe de la piste ! » Après une seconde d’hésitation, le chasseur obliqua à droite pour se remettre dans le bon axe. Il sort maintenant ses volets d’atterrissage, et finalement se pose sans encombre si ce n’est quelques rebonds à cause du mauvais état du sol.
Juks, endommagé sévèrement, qui aurait du laisser sa place à un autre intact, mais il veut tester le taxiway en premier. Alors que tous les autres sont en train de cercler autour de la base en hippodrome d’attente, il commence son approche. Tout le monde regarde le ‘chef’ se poser sur cette piste de fortune. Tout le personnel est dehors pour assister à ce spectacle étrange. Comme le chasseur juste avant lui, il entame son virage à gauche pour s’aligner. Il sort son train, et immédiatement les volets. Difficilement il se positionne face à la piste, puis se décale à gauche. Sa vitesse est trop faible. Il commence à faire des embardées à droite et à gauche. Il redonne de la puissance à ses moteurs, visible par les nuages grisâtres que ceux-ci viennent de cracher. L’avion se stabilise à quelques mètres du sol. La roue droite touche l’herbe, environ vingt mètres avant la ‘piste’. Il rebondit, puis les deux roues se posent. Il finit par s’arrêter, à grands coups de palonnier pour rester dans le bon axe. Alors qu’il commence à dégager la piste, il ouvre son cockpit et fait de grands gestes. La piste est praticable, c’est à nous de nous poser.
Un à un les Heinkel viennent se poser, mais cette fois, les moins endommagés en premier afin de ne pas encombrer la ‘piste’ dans le cas d’un crash. Je suis le dixième dans la file d’attente. C’est maintenant au tour du cinquième de se poser. Mais … son train d’atterrissage gauche refuse de sortir ! Il n’y a pas le temps de tenter une sortie manuelle.
« Blitz 12 de Contrôle Sol ! Rentrez votre train et faites un atterrissage sur le ventre et prenez la piste d’atterrissage principale ! Tous les autres, en hippodrome ! »
Il ne faut pas prendre le risque de voir un appareil endommager le taxiway en cas de problème. Le crash fut contrôlé partiellement, l’avion s’immobilisa à environ la moitié de la piste, moteurs fumants. Le pilote ayant oublié de mettre les hélices en drapeau. Finalement, tout l’équipage put sortir indemne et l’appareil ne fut que partiellement endommagé, moteurs exclus. Le septième à se poser toucha trop brutalement le sol et son pneu droit explosa sous le choc. L’avion sembla partir hors de contrôle et vint s’encastrer dans un Ju-52 déjà endommagé par l’attaque des russes. On ne dénombrera aucune victime mais les deux appareils seront considérés comme détruits à 80% et non réparables.
C’est à mon tour de poser mon appareil.
« Contrôle Sol ici Blitz 20, demande autorisation d’atterrissage. »
« Ici Contrôle Sol, autorisation accordée. »
La piste est sur la gauche. Je réduis les gaz, environ 30% de la puissance max. Je pousse le manche pour perdre de l’altitude. Tout est en ordre, les dommages ne se font pas trop ressentir, je n’ai pas de mal à compenser. Je dépasse la piste, et j’initie mon virage. Tout en virage, je continue à perdre de l’altitude et de la vitesse. L’avion ne tremble pas, c’est parfait. La piste, enfin le taxiway, apparaît. Je m’aligne avec lui. Je pousse un cran de volet et réduis encore un peu les gaz, la vitesse est trop importante.
« Fusée Rouge ! » me hurle William en se retournant vers moi
Qu’est-ce que ?! Un autre avion est en approche ?! Pourtant, non. Aucun avion ne semble encombrer la piste… qu’est ce que … Mes moteurs tournent rond, les pressions sont bonnes, les volets sont sortis d’un cran, le train est … Le train n’est pas sorti ! Je suis trop bas et trop lent pour relancer les moteurs, je dois me poser. J’enclenche la commande des trains et je vois les lumières rouges qui s’éteignent. Il faut que les vertes s’allument avant que je touche le sol !
« Werner, il se passe quoi ? »
« Eh bien pilote, c’est moi ou j’ai vu une fusée rouge ? »
Pas le temps de leur répondre, pas le temps. Plus que vingt mètres. Plus que dix mètres. Lumières vertes ! Je peux poser l’appareil tranquillement, du moins, en apparence sur la piste improvisée. J’espère juste qu’Arthur n’a pas assisté au spectacle sinon il va m’en reparler dans quatre mois de cet atterrissage. Je serre les freins, et dégage la piste par la droite me rangeant avec les autres Heinkel.
Aucun autre problème ne fut signalé pour les autres Heinkel, même les cas les plus critiques. C’était désormais au tour des chasseurs de se poser. Le premier à se poser fut le « 7 Rouge » dont le moteur commençait à fumer noir. C’est sans encombre qu’il toucha le sol et se rangea près du hangar. Cependant, l’avant dernier à se poser freina brusquement et se leva sur le nez. L’hélice fut brisée et le moteur explosa. Le pilote réussi à sortir de son cockpit et une fois le taxiway dégagé, le dernier Focke-Wulf se posa et retourne près d’un hangar.
Les Messerschmitt eurent aussi du mal à se poser, en plus du fait que leur appareil était naturellement difficile dans cette phase de vol, mais il n’y eut aucun incident à déplorer sinon un pneu éclaté par une balle lors des combats. Le pilote, un jeune prodigue, à en dire ses supérieurs, parvint néanmoins à ne pas endommager l’appareil.
La mission prenait fin.
La mission fut considérée comme un succès car malgré de nombreuses pertes, le bateau russe fut coulé. On ne dénombrera pas de pertes chez les bombers sinon quelques trous dans carlingues et quelques moteurs à réviser. Par contre, les torpilleurs auront payé un lourd tribut ainsi que les chasseurs.
Nous sommes de retour. Tous. Je suis, encore une fois, à l’arrière de notre formation de 32 Heinkel-111 et c’est un plaisir sans cesse renouvelé que de nous voir tous rentrer à la base. Cette mission n’aura pas été facile, loin de là. Mais le Haut Commandement voulait cette usine de moteurs détruite, nous l’avons réduite en cendres. La DCA fut lourde mais imprécise, seuls quelques impacts sont à déplorer sur nos machines. Certains de nous fument ou ont des réservoirs percés mais nous le devons aux forces VVS. Ces satanés Ivan nous ont encore une fois mené la vie dure. Nous avons malgré ça gagné cette manche. Deux Yaks ont été aperçus plonger vers le sol, leur moteur crachant une épaisse fumée noire. Des probables qui se changeront en victoires confirmées si jamais on retrouve leurs épaves. Pour ce raid de bombardement, ma douzième mission, jamais je n’avais vu un tel dispositif mis en place pour une seule usine. Nous étions une centaine de bombardier avec au moins trois groupe de vingt chasseurs pour nous couvrir.
Nous ne sommes plus qu’à quelques minutes de la base, déjà les chasseurs nous lâchent, battant des ailes pour nous souhaiter un bon retour. Les anciens disent que dès que l’escorte part, la mission est finie. Il reste quand même à poser les machines dont certaines tiennent en l’air par je ne sais quel miracle. Mon moteur droit a d’ailleurs été touché et une fuite de liquide de refroidissement devient de plus en plus critique à mesure que la température du moteur augmente. Au loin, je distingue la base, enfin la forêt qui borde notre base. Nous y serons dans quelques instants. Je donne l’ordre à mon équipage de se mettre en position pour l’atterrissage. La procédure implique que les appareils les plus touchés se posent en premier, suivis par les appareils intacts. Je suis le numéro 8 à me présenter. Soudain, une secousse déstabilise l’appareil. Le moteur droit vient de lâcher ! Me concentrant trop sur l’atterrissage, je n’ai pas vu que la température avait atteint le seuil critique.
« Atterrissage d’urgence ! »
En même temps que donner l’ordre de se mettre en position d’atterrissage d’urgence à mon équipage, je débraye l’hélice et la met en drapeau.
« Ici Gustav 16, mon moteur droit vient de lâcher, je répète mon moteur droit vient de me lâcher »
« Ici tour de contrôle, bien reçu Gustav 16, vous êtes prioritaire sur finale. »
Tant bien que mal, je parviens à maintenir l’appareil en vol, tout en voyant Gustav 15 et 29 se poser devant moi. Décidément, la mission n’est pas terminée. Je rentre dans le circuit de l’aérodrome. Je compense la perte du moteur par des actions au palonnier et sur la manche. Je pousse les gaz du moteur gauche à fond, je sors les trains. Je m’aligne avec la piste, volant légèrement en crabe. Ca y est, Gustav 29 vient de dégager la piste, je peux me poser. Je sors tous les crans de voler et réduit légèrement la puissance moteur. Je passe le seuil de la piste. Je suis trop rapide. Je tire la manette des gaz, mettant la puissance à 0. L’avion réagit, il n’aime pas ces changements brusque, le moteur crache aussi. Le Heinkel s’enfonce vers le sol. Le touché est assez brutal, secouant toute la carcasse de l’appareil. J’écrase les freins, alors que je suis déjà au tiers de la piste. Finalement, il s’immobilise. Déjà les pompiers aspergent le moteur droit de mousse alors que mon équipage saute hors de la carlingue. Je les suis. L’appareil est rapidement poussé hors de la piste pour continuer le ballet des atterrissages. Tous se posent sans encombres.
Arthur, le chef mécanicien, s’approche.
« Eh bien, qu’est ce que vous lui avais fait encore ? »
« Impact dans le moteur droit, je n’ai pas pu maîtriser sa température. »
« Il suffisait de changer sa richesse. J’en connais des gars qui sont rentrés avec des moteurs plus touchés, et qui tournaient encore ! »
« Oui mais … »
« Allez mon gars, te tracasse pas, on a reçu des nouveaux moteurs hier, on t’en mettra un tout neuf. »
C’est une chose qui était très particulière sur cette base, les mécaniciens étaient très familiers avec les pilotes à qui ils considéraient qu’ils prêtaient leur avion. Ce qui n’était pas faux e un sens. Alors que sur d’autres bases, en Europe de l’Ouest surtout, les relations pilote – mécanicien étaient d’un tour autre genre. Mais j’aimais cela. Ca favorisait la bonne entente générale et le bon fonctionnement de la base.
Une fois tous les appareils posés, je remarquai une activité étrange autour de moi. Les appareils valides étaient réapprovisionnés immédiatement en carburant et munitions tandis que les blessés étaient pris en charge par tous les mécaniciens disponibles. Comme s’il était impératif que tous les appareils devaient être prêts à reprendre l’air dans une heure, voire moins.
« Arthur, qu’est ce qu’il se passe ici ? »
« Une grosse mission se prépare pour demain, à ce qu’on dit. »
Nous sommes réveillés à 7h15 pour un briefing à 8h10 avec le Kommandant de la base. Lorsque j’arrive, la salle est bondée, tous les équipages sont là, en plus des habituels pilotes et navigateurs. A leurs regards, beaucoup ne comprennent pas ce qu’ils font là, c’est la première fois qu’ils assistent à un briefing. William m’a gardé une place à sa gauche, et je mets bien trois bonnes minutes à le rejoindre. Le Kommandant fait son entrée. Silence dans la salle.
« Messieurs, nous sommes dans une situation de crise extrême. »
La lumière se tamise et une diapositive d’un chantier naval apparaît sur le mur blanc. Le Kommandant commence son discours.
« 1938, chantiers navals de Blohm & Voss, Kiel… un audacieux cambriolage a lieu dans les bureaux de la société. Si des valeurs ont évidemment été dérobées, l’objectif des ‘visiteurs’ résidait ailleurs : ils sont venus en réalité pour photographier les plans des nouvelles unités navales Allemandes, et plus particulièrement les plans des navires de la classe « Bismarck », soit ceux du Bismarck et ceux de son ‘sister-ship’, le Tirpitz !! Le vol d’argent n’était là que pour cacher les vraies raisons de qui était en réalité un opération d’espionnage… Les auteurs du vol sont restés inconnus de nos services. Il s’est avéré que c’est le GRU (le renseignement militaire russe) qui a commandité l’opération sous l’ordre de l’Amirauté Soviétique. Après des mois de travail acharné, et malgré l’invasion allemande, les soviétiques ont construit dans leur grande base de Sevastopol une réplique du Tirpitz. Peu avant l’évacuation de la ville, le navire a été vu en direction du port de Batumi, tout à l’est de la Mer Noir, où la dernière main à été donnée à sa construction. Le nom du navire est : Frontoyov. Il y restera jusqu’à Octobre 1942. Le nouveau bâtiment soviétique prend alors sa première croisière durant laquelle il sera procédé des dernières mises au point. Divers défauts de fabrication vont en effet apparaître durant cette croisière inaugurale durant laquelle le Frontoyov a ordre d’éviter non seulement le combat mais simplement d’être repéré par nos services, et ce à tout prix. En effet, la construction de ce navire a été jusqu’alors des secrets les mieux gardés par les soviétiques. Mais les secrets finissent toujours pas être dévoilés. Le 28 octobre 1942, une panne de transmission survient sur le navire. Une de ses hélices propulsives a en effet été endommagées par une mine flottante durant la nuit précédente. Les dommages sont légers mais suffisants pour ralentir le fier bateau. Le même jour, un sous-marin U-143 au Kommando der Kriegsmarine Krim, Odessa : ‘Grosse unité ennemie de type inconnu repéré dans le carreau J-5. Navire ennemi avance lentement, cap au 135, probablement en raison d’une avarie quelconque. Sommes à court de torpilles et ne pouvons entreprendre aucune action offensive, mais demeurons sur zone pour surveillance. Cela peut paraître étrange mais le navire en question ressemble beaucoup à notre Bismarck’ »
La tension est maintenant palpable dans la salle. Aucun n’ose parler, ni même tousser. Un navire de type Bismarck aux mains des russes ?! Dans la pénombre, les visages sont figés, abasourdis par la nouvelle. Certains prennent quelques notes.
« Voici les ordres que j’ai reçu. Je vous les lis tels quels. ‘Kommando der Kriegsmarine Krim à Kommando Luftwaffe : Gros navire ennemi de type inconnu repéré par U-boot. L’unité semble souffrir d’avaries car il avance lentement. Lancez attaque immédiatement pour couler navire de classe inconnue.’ »
C’est l’officier responsable de la mission qui repris la parole. Jamais le silence n’aura régné aussi longtemps et aussi pesamment qu’aujourd’hui. Tous avons le souffle coupé, c’est une consternation silencieuse.
« Vous décollerez par groupe de trois appareils pour gagner du temps. Rapidement, vous vous mettrez en formation serrée et resterez à basse altitude. De cette manière, vous éviterez de croiser la route d’éventuels chasseurs russes. Votre route vous mènera directement sur la mer, ayant pour inconvénient de rendre la navigation plus difficile mais l’énorme avantage d’éviter les patrouilles terrestres qui pourraient rendre compte de votre formation et de votre objectif, le Frontoyov étant le seul bâtiment pouvant nécessiter un tel déploiement de force dans la région. Comme l’a dit notre Kommandant, décollage immédiat, cap approximatif au 150.»
Je vois William qui prend autant de notes que possible, grimaçant comme jamais. La mer, ça n’est jamais bon à prendre pour un aviateur, surtout au ras des flots. Une erreur d’altitude, une houle un peu forte, ou un moteur défaillant et c’est le crash. Nous sommes en été, la saison chaude, mais l’eau reste glaciale dans cette région et les chances de survie très minces, surtout que Ivan a pris pour habitude de mitrailler les carcasses flottantes pour ne laisser aucun survivant.
« A mi chemin environ, vous serez rejoints par les Heinkel du IV./KG27. Ils sont équipés de bombes de 2,000kgs qui seront larguées à 5,000mètres. Les torpilleurs, vous, conserveront leur altitude alors que les bombardiers maintiendront le même cap mais en montée, se faisant, ils vont prendre du retard et pourront larguer leurs bombes quand vous aurez dégagé la zone, c’est à dire trois minutes après que vous ayez largué les torpilles. »
Une attaque combinée ? Ca n’a jamais été tenté. Pas même sur un port où les bateaux sont immobiles et relativement sans défense. Et à deux minutes d’intervalle ! Et si nous sommes en retard ? Et si ils sont en avance ? Pas le temps d’y réfléchir, le briefing n’est pas fini.
« Vous volerez en formation en échelon jusqu’au point de rendez-vous avec les appareils du IV./KG27, de là, vous vous reformerez en ligne avec deux appareils de front. Chaque paire devra larguer ses torpilles en même temps et chaque paire sera espacée de 1 seconde, voire moins. Faites aussi rapide que possible. Ainsi, il y aura un flot continu de torpilles sur le navire et chaque paire pourra s’ajuster en fonction des changements de cap éventuels du Russe. Chaque paire suivra la trajectoire définie par celle la précédant, ajustant la visée au fur et à mesure de l’attaque. Les torpilles seront larguées à leur distance maximale, et chaque bombardier, responsable de sa paire, devra annoncer le largage. Il est crucial de couler le navire mais avec le minimum de pertes, d’autres opérations de grande envergure sont prévues dans les jours à venir, or la DCA de ce bâtiment a été analysée comme extrêmement puissante. Votre mission, en tant que torpilleurs, sera d’immobiliser définitivement le navire ennemi, et de déclencher plusieurs incendies. Les bombes du IV./KG27 auront pour objectif d’envoyer le bâtiment par le fond. »
Et bien, la fête promet d’être folle.
« Un ‘Condor’ a été dépêché pour relever la position du Frontoyov et vous la transmettra pendant le vol. Vous êtes consignés au silence radio le plus total avant l’identification visuelle de l’objectif. Vous n’êtes pas autorisés à répondre au Condor, il ne faut pas que les Russes soient sûrs d’une attaque imminente. Si vous venez à être attaqués par des chasseurs sur le chemin aller, votre mission est d’une priorité absolue, resserrez la formation et visez leurs moteurs… »
Un pilote se lève, interrompant le discours.
« Et l’escorte ? » C’est Werner Juks, un des plus anciens pilotes de l’escadrille, un de ceux qui pouvaient se permettre ce genre d’interruptions.
« Vous serez seuls pour l’aller, mais 6 Messerschmitt-109 et 5 Focke-Wulf-190 assureront votre retraite. »
Juks se rassoit, en grognant. Il n’aimait pas partir au front ‘seul’, comme il disait. Il avait toujours aimé les escortes, au moins pour leurs effets psychologiques sur les équipages. Le briefing touchait à sa fin.
« Une fois votre chargement largué, vous rentrerez à la base avec le cap le plus direct, l’escorte vous attendra ici. » dit-il en pointant un carreau sur la grande carte dépliée. « Juks sera leader de l’escadrille. Votre indicatif sera Blitz. Pour les autres, vos positions respectives sont indiquées sur ce tableau, je vous invite à en prendre connaissance. »
« Le décollage est prévu à 9h17. Bonne chance messieurs. »
A ces derniers mots, le silence se rompit aussi rapidement qu’il était arrivé. Tous se mirent à commenter la mission à venir, et une fois dehors, se dirigeaient vers leurs appareils respectifs. C’est également ce que je fis, accompagné de William. Le reste de l’équipage nous rejoigna quelques minutes plus tard.
Il était prêt. Il était là, il nous attendait. Arthur et son équipe venait de finir de le préparer. A peine sommes nous arrivés que nous montons à bord les uns après les autres, moi en dernier, comme d’habitude. Chacun prit rapidement sa place. Souvent les gens aiment bien rester aussi longtemps que possible dehors et ne rentrer qu’une fois obligés. Chez nous, c’était l’inverse, on préférait s’imprégner de la mission en attendant le décollage assis à nos postes, silencieux.
9h10. Je lance les moteurs, sous l’œil d’Arthur. Doucement, je pousse les manettes et les moteurs ronronnent. L’avion oscille un peu, les cales sont enlevées. Nous roulons vers la mission. Aujourd’hui, nous ne sommes que 24 à prendre le départ, les autres appareils sont trop endommagés ou en révision à cause de la mission d’hier. Arthur a tout donné pour que je puisse prendre part à cette aventure. Peut-être a-t-il signé mon arrêt de mort en faisant ainsi. Peut-être que ce sera la mission dont je ne reviendrais pas. Je lui fais un signe de la main, nous sommes parés. Il me renvoie mon signe et se retourne vers le hangar. Il n’aimait pas nous voir partir, il ne voulait voir que les atterrissages. Une sorte de superstition qui m’avait porté chance jusqu’à présent, je m’y pliais volontiers.
Ca y est, nous sommes en place sur le taxiway, je descends les deux crans de volets pour le décollage et jette un dernier regard sur mes instruments, tout est en ordre. Je suis le numéro 20 à prendre l’air, encore en fin de formation, la place des jeunes pilotes. C’est également une position qui permet d’avoir le maximum de piste pour le décollage, une position que j’affectionne particulièrement, même si je rêve, un jour de pouvoir prendre la place de Juks, d’être le premier de la file, de leader toute une formation. La fusée verte est lancée. Les uns après les autres, les bimoteurs poussent leurs moteurs à plein régime, s’élancent sur la piste en herbe et prennent l’air par groupe de trois. Le Kette qui nous précèdent vient de se lancer, la poussière dégagée nous empêche de voir à plus de 40 mètres devant nous, il nous faut attendre qu’elle se dissipe un peu, en plus de toute celle levée par le groupe. En fait, j’attends de voir les moteurs de mon RotteFuhrer crachoter du noir, signe du décollage. Trois secondes. Cinq. Dix. Ca y est. Je pousse les manettes à fond. La mission vient de commencer.
Conformément au plan de vol, nous nous regroupons en échelon. La mise en formation est effectuée en suivant le cap vers l’objectif, pas question de perdre du temps et du carburant au dessus de l’eau. Nous sommes maintenant trois formations. Les deux premières sont constituées de trois Kette et la dernière de deux Kette. Cela nous permettra de nous mettre en position défensive très rapidement si nous sommes attaqués. Nous volons tous à la même altitude, ce qui est assez inhabituel mais nécessaire pour la bonne réussite de la mission. Après à peine dix minutes de vol, nous voilà tous au dessus de l’eau, la Mer Baltique. Nous filons à 80% de la puissance maximale, inutile de traîner sur les terrains dangereux, surtout à si basse altitude. Etant à l’arrière de la formation, je n’ai que peu de responsabilité, sinon que de rester en formation. Mes yeux sont rivés sur l’aile de mon RotteFuhrer, et je prends quelques secondes à regarder le paysage. Mais il n’y a rien à voir, malheureusement. A cette vitesse, l’eau défile tellement vite qu’on ne peut y apercevoir quoique ce soit malgré sa clarté apparente et sa faible houle. Le soleil levant se reflète à l’horizon, cela me ferait presque oublier que je suis en mission de guerre. Quant à mon équipage, il surveille le ciel. La visibilité est excellente, c’est un temps parfait pour voler, quelques nuages se promènent, juste pour donner de la couleur dans le ciel matinal. Double tranchant qu’est ce temps, s’il nous est bénéfique pour la navigation, il l’est pour Ivan pour nous repérer, de plus, à cause de l’urgence de la mission, le camouflage n’a pas été modifié nous arborons toujours un camouflage en tons de vert alors que nous sommes au dessus d’une eau bleue. Si jamais Ivan passe par ici, c’est sans difficultés qu’il nous verra. Enfin, j’espère qu’il ne viendra pas. La vitesse est maintenue constante, la pression d’huile est normale, la température des moteurs légèrement en dessous de la normale mais rien d’alarmant, et nous continuons dans le sillage des 19 torpilleurs qui nous précèdent. Le point de rendez-vous est encore à plus d’une demi-heure de vol. La monotonie commence à faire son effet. Je me retourne pour voir Heinz qui balance doucement sa mitrailleuse de gauche à droite. Surveille-t-il le ciel ou chantonne-t-il en attendant un cri d’alerte ? Impossible à dire, mais tout semble calme pour lui. Quant à Josef, allongé dans le ‘lit du mort’, il n’aura, pour une fois, pas à craindre les tirs venant de la DCA ou des chasseurs qui prennent la mauvaise habitude glisser sous notre ventre. Certains pilotes ont même renoncé à prendre leur mitrailleur ventral, voulant gagner du poids et le pensant inutile. Pour ma part, j’ai insisté à ce qu’il vienne, qu’il puisse prendre part à cette mission importante, et lui faire savoir qu’il fait partie de notre équipe autant que autres, bien qu’il ne nous ai rejoint que tardivement, remplaçant notre regretté Otto, abattu par un éclat de DCA il y a 10 jours.
Filant au ras des flots, j’aperçois des silhouettes au loin, sur notre gauche. William et Heinz me confirment que ce sont bien les Heinkel du IV./KG27 venus nous épauler. Décidément, ce silence radio risque de nous coûter cher si on ne peut même plus prévenir l’approche d’une formation amie. Une erreur d’identification visuelle étant si vite arrivé. Ils sont au nombre de 36, en trois formations de quatre Kette, tous armés d’une bombe de 2,000kgs. Leur leader bat des ailes, ils sont avec nous. C’est Juks qui prend le commandement des deux formations. Son bombardier est un as en navigation. Le IV./KG27 se placent au dessus de nous, superposant leur formation à la notre.
Nous changeons de cap et prenons la direction de la dernière position connue du Frontoyov. La formation tend à se resserrer d’elle-même bien qu’aucun ordre n’ait été donné en ce sens. La tension des pilotes est bien palpable, en se rapprochant, on se protège mieux face aux chasseurs ennemis, même si le pilotage est rendu plus délicat. Nous sommes devenus un groupe compact, nous ne formons plus qu’un.
Cinq minutes après nous avoir rejoins, le IV./KG27 amorce sa montée, silencieusement. Heinz finit par les perdre de vue. La radio est silencieuse, rien ne doit révéler notre présence. Même les interphones sont muets, mes yeux sont rivés sur l’aile de mon leader ceux de mon équipage scrutent les cieux, du moins je l’espère car je ne peux que voir William qui, malgré sa position inconfortable, surveille sa portion de ciel. Durant le voyage vers la cible, aucun chasseur ennemi ne sera vu.
La radio se réveille. C’est le FW200 ‘Condor’ qui appelle. Il a repéré l’objectif ! Immédiatement, il nous annonce les coordonnées précises du bâtiment russe. Il est accompagné de trois frégates, un destroyer ainsi que quelques vedettes et autres navires sans importance. C’est toute une flotte à qu’il va falloir faire face, et parmi tout ça, ne cibler qu’un seul d’entre eux. Le nouveau cap étant donné, toute la formation oblique légèrement à droite. Heinz voit le soleil se refléter sur les carlingues du IV./KG27 alors qu’ils changent de cap également. Nous ne sommes plus qu’à quelques minutes de l’objectif.
« Achtung ! Chasseur ! » C’est le Condor qui appelle. « Nous sommes attaqués ! » Le pilote a dû laisser son interphone branché, inadvertance ou défaut du matériel. D’habitude, ce genre d’incident a plutôt un aspect comique car on y entend toutes les réflexions du pilote sur sa mission alors qu’il croit parler seul ou uniquement à son équipage, mais ici, c’est à l’agonie d’un appareil que l’on assiste. « Ils plongent ! » Bruits de mitrailleuses. « Sur le flanc gauche ! Karl ! Feu à volonté ! » De nouveaux, les mitrailleuses se font entendre. « Moteur 4 touché ! Descendez moi ces satanés Ivan ! » C’est maintenant tout l’équipage que l’on entend. « Joachim est mort, je prends sa place » Lorsque ce n’est pas l’équipage qui parle, on entend à tour de rôle les balles qui partent, mais pire encore, les balles et obus qui viennent frapper la carlingue du Condor, lui arrachant des morceaux de métal. « Attention, trois chasseurs ! Cinq heures haut ! Ils arrivent ! » Impuissants, nous ne pouvons qu’écouter cette sinistre et macabre scène. « Ici Adler, ici Adler, nous sommes sous l’assaut de plusieurs appareils russes, il y en a sûrement d’autres qui rodent. Gardez vos yeux bien ouverts. » Ce sera ses dernières paroles. Quelques grésillement accompagneront sa chute puis le silence revint sur la fréquence. C’en était fini du Condor, il avait rempli sa mission, au prix de sa vie. Se sachant seul, il n’avait même pas demandé d’assistance, ni même donné sa dernière position. Je regarde William, agrippé sur sa MG15. Oui, cela pourrait nous arriver. Cela nous arrivera sûrement. Dans cinq minutes ? Dix ? La prochaine mission ? Je ne préfère même pas y penser. Dans l’appareil à ma droite, je vois le bombardier et le mitrailleur ventral qui agitent leurs mitrailleuses, sûrement pris de panique à l’arrivée éventuelle de chasseurs. Combien d’entre nous périront au cours de cette mission ?
Sans émotion dans sa voix, Juks annonce qu’il met les gaz à fond. Le pauvre, il doit en avoir tellement vu et entendu pour ne plus être sensible à ce genre de tragédie. Il va nous servir d’éclaireur. Il ne s’est équipé que d’une seule torpille spécialement équipée d’un dispositif fumigène, qui permettra de nous donner un ciblage précis. Les minutes, les secondes commencent à se faire longues. Dans chaque appareil, cinq paires d’yeux fixent l’horizon à la recherche du convoi russe. Les avions se mettent à osciller les uns vers les autres, chaque pilote, cherchant le Russe, porte moins d’intérêt à la bonne tenue de la formation. Je n’échappe pas à la règle, mon appareil fait des embardées de plusieurs mètres, qui tantôt me rapprochant dangereusement prêt de l’appareil à ma droite, tantôt à gauche. En regardant ce ballet, il est étonnant de ne voir aucune collision.
C’est Juks qui donnera l’alerte après sept bonnes minutes. Le bâtiment est repéré dans ses deux heures. Lentement, toute la formation change de cap pour se mettre sur une trajectoire l’amenant sur le flanc du cuirassé. En même temps, nous changeons de formation. Chaque Kette se dissout et nous passons en Rotte. Rapidement, nous sommes prêts à attaquer.
Un cri dans les écouteurs vient briser cette harmonie.
« Achtung ! Chasseurs ! 4 heures haut ! »
« Je les vois, ils piquent sur nous ! Il y en a une dizaine ! »
Déjà les premiers coups de mitrailleuses fusent, mais des coups dans le vide, les chasseurs doivent être beaucoup trop loin, de mon poste, je ne peux pas les voir.
« Ici Juks, la mission reste prioritaire, ne vous dispersez pas ! »
Nous voilà des proies faciles, tous alignés correctement. Je me resserre sur mon RotteFuhrer à ma gauche pour concentrer les tirs de nos mitrailleurs dorsaux. Je vois que la paire devant nous fait de même, et ainsi de suite pour toute la formation. Je suis à l’arrière de la formation. Ils vont forcément concentrer leur feu sur moi, sur nous. Nous sommes perdus !
Etrangement, les Ivan nous passent sans tirer, ils semblent vouloir se concentrer sur les appareils de tête. Ils ont compris qu’on restera sur notre objectif quelqu’en soit le prix. En endommageant les appareils de tête, ils espèrent affaiblir le reste de la formation mais ils s’offrent à nos mitrailleurs. Cette technique est également utilisée par nos chasseurs, mais uniquement en attaque frontale, or les russes arrivent par l’arrière.
Déjà, un premier Heinkel se met à fumer, il perd son carburant et du liquide de refroidissement mais reste en position. La technique des Ivan a l’air de fonctionner, le nuage de kérosène enduit les pare-brise d’une fine couche qui s’opacifie de plus en plus. Je vois William, les doigts crispés sur sa MG15, qui tente vainement de toucher un Russe quand il passe en trombe devant le cockpit. Tout ce que je peux faire quant à moi c’est de m’enfoncer dans mon siège blindé à espérer qu’aucune balle n’aura la mauvaise idée de venir me frapper. Les Yaks finissent leurs passes et font un large virage à droite, en remontée. Par chance, leur visée n’est qu’approximative.
Les chasseurs s’apprêtent à donner le deuxième assaut. Les mitrailleurs latéraux tentent de former un barrage de balles mais rien n’y fait, les Yaks reviennent. Je vois les deux mitrailleurs dorsaux devant moi qui tirent pour repousser l’attaque. Seuls les ventraux sont à l’abris pour l’instant, pour une fois. Des Yaks s’en prennent à nouveau sur le Heinkel blessé. D’autres tirent de longues rafales, espérant endommager un des nôtres. Le Heinkel blessé, notre Numéro 4, sort lentement de la formation, son moteur droit crachant une fumée noire. Soudain, son réservoir s’enflamme et quelques secondes après, l’appareil explose avant même de toucher l’eau, projetant des débris dans le ciel. Lors de la même attaque, deux Heinkel larguent leurs torpilles prématurément et sont forcés de sortir de la formation. Ils prennent le cap de la base, se couvrant mutuellement. Ivan ne les poursuit pas. Il cherche à briser notre attaque, après il nous détruira un par un. Du moins, le croit-il. Au loin, un Yak se met à fumer. Il a été touché ! Il s’éloigne de la zone des combats en légère montée, sur notre flanc gauche, poursuivi par quelques traçantes.
« Torpille larguée ! »
Ca y est ! Au milieu de ce maelström, Juks a largué sa torpille. Notre attaque a commencé, sous les balles des chasseurs russes. Curieusement, le Frontoyov n’a pas encore tiré une seule balle ou obus de DCA. Bien que je ne puisse pas le voir, je ne vois pas ses traçantes. Il est impossible qu’il ne soit pas au courant de notre attaque et nous sommes dans la portée de sa DCA lourde, il doit mijoter quelque chose. La première paire devrait faire son largage dans moins de 5 secondes. Loin devant, j’aperçois Juks qui se détourne et prend un cap de fuite.
« Ici Juks, cap de sortie 241. Altitude 250. Vitesse 300. » Nous allons donc nous enfuir dans l’axe de poupe du navire, là où sa DCA est la plus faible et surtout, la moins dense.
D’un coup, le Frontoyov envoie toute sa DCA sur les premiers appareils, il voulait les avoir à bout portant. Il peut résister à quelques torpilles, celles larguées par les avions de tête, mais pas à celles de toute une formation. C’est littéralement un mur de plomb et de feu qui est lancé sur nous. La DCA lourde, restée muette vient de se déchaîner, alors que les premiers Heinkel larguent leurs torpilles, des plaques de métal sont arrachées. Des débris envahissent les cieux, et je ne peux rien faire pour les éviter. Nous sommes maintenant pris entre deux feux, d’un coté le Frontoyov et de l’autre par les Yaks, et ces torpilles qui nous ralentissent. Juks arrive miraculeusement a échapper à cet enfer, et je le vois faire calmement sa prise de cap, suivi de la première paire, également sauve.
Soudain, un Heinkel se fait arracher une aile. Un coup direct de la DCA lourde, à bout portant. En moins d’une seconde l’avion se retourne et s’écrase sur les flots dans une énorme gerbe d’eau. Alors que l’on passe au dessus, j’ai le temps d’apercevoir l’appareil complètement démembré qui commence à sombrer dans les profondeurs. J’ai à peine le temps de regarder ces malheureux qui luttent dans l’eau glaciale. Lors de ce bref passage, j’ai la triste sensation qu’aucun des membres de l’équipage ne semble avoir survécu au crash. Je ne prête plus attention à la formation, au Frontoyov, aux communications, à rien, mes yeux, mon esprit, sont rivés à ce drame. Je ne sais pas combien de temps je suis resté hypnotisé par cette scène, quelques fractions de secondes passant pour une éternité, mais je me rappelle comment j’en suis ressorti. Alors que le Numéro 14 me passe entre les jambes, une autre explosion se retentit, beaucoup plus proche, beaucoup plus intense. Elle fut si intense que j’en ai eu le souffle coupé, alors que William hurla devant le spectacle qui s’offrait à nos yeux. L’appareil qui me précédait venait de perdre une aile. Alors qu’il s’apprêtait à larguer ses torpilles, seul face à la DCA russe, en une fraction de seconde, son aile s’est arrachée et ses réservoirs ont pris feu par un coup direct d’un obus de 37mm. L’espace d’un instant, il est apparu rester en suspension dans l’air puis s’est effondré. Des dizaines de bouts de métal sont venus frapper le pare-brise, heureusement sans le fendre. La gerbe d’eau est montée jusqu’aux vitres inférieures du cockpit, les rendant quasiment opaques à cause de l’émulsion de carburant et d’eau. Josef, qui, par sa position, a pu voir le reste de la scène nous l’a décrite comme telle. « L’avion s’était retourné sur le dos, son aile droite à environ vingt mètres du reste de l’épave. Je pouvais voir le mitrailleur ventral qui essayait de se débattre pour sortir de la carlingue, mais en vain, frappant sur les vitres. En même temps, plusieurs rafales de petit calibre sont venues frapper son compartiment et l’avant du cockpit. J’ai cru voir un corps sortir de l’épave mais les remous l’ont emporté vers le fond. En une seconde, seule une aile en feu restait à la surface, comme une balise marquant l’endroit du désastre. »
Je n’ai pas le temps de comprendre ce qui se passe autour de moi, deux équipages sont tombés, ont été assassinés, et c’est à mon tour d’être en première ligne. C’est à moi, à nous, de larguer notre charge offensive. Je vois William qui, de son bras gauche, appuie nerveusement plusieurs fois sur le bouton déclencheur et d’un coup, l’avion fait un bond, indiquant que les torpilles sont parties.
« Torpilles à l’eau » hurla Josef, confirmant le largage.
Sitôt fait, je braque le manche à gauche pour me dégager. Ce n’est qu’un réflexe, je viens de voir une dizaine d’appareils faire de même, je ne réfléchis plus, j’agis. Je suis la formation, la troupe, la meute. Je fais tout pour rester dans l’aile de l’avion qui m’accompagne, ou que j’accompagne. Alors en plein virage, plusieurs impacts de DCA légère viennent impacter sur ma carlingue mais aucun blessé ni avarie à bord, a priori. La DCA lourde nous rate, ou nous ignore. Le Frontoyov disparaît de ma vision, pour rencontrer celle de Karl, qui le découvre, lui qui ne voit que sur nos flancs. Je l’entends qui lâche quelques dizaines de cartouches sur le Frontoyov, ou du moins dans sa direction, en proférant des injures aux marins. Josef fit de même quand une fenêtre de tir s’ouvra sur le Frontoyov. Toujours en plein virage, une plaque se fait arracher de mon Rottefuhrer et vient violemment frapper mon aile droite.
« Josef ! Karl ! Heinz ! On a été touchés ! Rapport des dégâts ! »
C’est Josef qui répondra le premier
« Ce n’est rien, juste de la tôle qui est un peu froissée. » me dit-il calmement.
« Rien à signaler » me répond Karl
« Aucun dégât visible pour moi » annonce Heinz
Ca y est, nous sommes de nouveau en place, à notre place, dans le Schwarm, sous les balles et obus de tous calibres. Les Yaks, je les avais complètement oubliés, nous avaient délaissés le temps que le Frontoyov nous crible de plomb, reviennent à la charge. Malheureusement pour eux, la DCA russe est toujours en action, plus intense que jamais, et ses balles ne font pas de différence entre un chasseur russe et un bombardier allemand. Je ne sais pas s’ils étaient en rage de ne pas avoir pu nous arrêter ou juste inconscients mais ces pilotes sont venus sur nous comme si de rien n’était. Bien mal leur en pris.
Un des spectacles les plus étonnant fut de voir un Yak se faire toucher par sa propre DCA. Alors qu’il s’apprêtait à faire une passe frontale, un pan entier de son empennage horizontal s’est détaché. Le pilote n’a pas eu le temps de s’éjecter et s’écrasa en mer. Quelques tirs venant des Heinkel tentèrent de toucher l’épave mais sans succès.
« Achtung ! Yak ! 3 heures ! »
En voilà un autre qui arrive. Il tente une passe sur nos flancs, notre talon d’Achille. Il vise notre Numéro 12. Il le rate. Sans raison apparente, je le vois faire une embardée sur l’aile gauche. La canopée se détache et le pilote s’éjecte rapidement. Qu’est ce qu’il a bien pu lui prendre ? Au moment où son parachute s’ouvre, son aile droite s’effondre à mi-envergure. Aucune de nos mitrailleuses n’est capable de faire ça, même avec nos meilleurs personnels. Encore un coup de la DCA russe.
« Regarde Werner, encore un qui pourra aller se plaindre à son commissaire politique préféré ! » William explose de rire, allant même jusqu’à lâcher sa mitrailleuse.
Tout ceci n’aura duré que quelques secondes, le temps pour les dernière paires de déposer leur charge mortelle. Les torpilles sont maintenant toutes larguées en direction des Russes, la formation avait conservé, tant bien que mal, sa structure initiale. Il était temps de passer en formation défensive, d’inspiration les « blocks » de bombardiers américains. Instinctivement, les lourds appareils se resserrent les uns des autres pour concentrer leur tir défensif sur les chasseurs.
« Cap 330. Altitude 200. Plein gaz les enfants ! » nous hurle Juks dans les écouteurs. « Formation défensive ! »
Mais c’était déjà fait. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le groupe était en train de se resserrer, formant un groupe compact, prêt à recevoir Ivan qui s’étaient éloignés de peur de rencontrer leur propre DCA comme leur deux petits camarades.
Les mitrailleurs dorsaux et ventraux ensuite aperçurent de nombreux impacts des torpilles sur le navire russe. Plusieurs secteurs avaient même des amorces d’incendies. Certaines torpilles quant à elles ont impacté sur les autres bâtiments, un cargo et une vedette notamment. De notre angle de vue, et avec la distance, il était impossible de savoir si notre mission avait réussi ou non, mais c’est alors que, selon les mitrailleurs toujours, les premières bombes sont tombées sur le convoi. En l’espace de 3 secondes, 36 bombes de 2 tonnes larguées depuis une altitude de 5,000m déferlèrent sur les navires. Les bombes encadrèrent le Frontoyov et l’une d’entre elles explosa sur l’avant du bâtiment. Un gigantesque incendie se déclencha et le bateau se mit à couler. Les bombardiers avaient 2 minutes d’avance. Un peu plus tôt et les bombes nous seraient tombées dessus. Le Haut Commandement avait peut-être prévu trop ‘juste’. Heureusement, il n’y eut pas de tir fratricide.
Cette attaque, depuis l’apparition des chasseurs jusqu’à l’explosion de la dernière bombe n’avait duré que 4 minutes. Une éternité.
« Achtung ! Chasseurs ! »
Mais ce n’est pas fini, loin de là, les Yaks, encore plus enragés par la perte du fleuron de leur marine, reviennent à la charge. Cette fois, ils tirent dans le groupe, sans distinction. Ils n’ont aucune stratégie de groupe. Chaque Sveno prend un Allemand pour cible et lui vident tout le plomb qu’ils ont. Seuls trois Svenos se concentrent sur une cible commune, notre numéro 17, au bout de la deuxième passe, ils arrivent à gravement endommager les deux moteurs, et mettre le feu à un réservoir de carburant. Le pilote du numéro 17 était Erich Feufhur, un des plus jeunes pilotes de l’escadrille, il venait à peine de finir son apprentissage Dans sa position désespérée, il sorti les volets d’atterrissage et le train, sûrement voulait-il se poser aussi doucement que possible. Malheureusement, dès que la première roue toucha une vague, l’avion bascula et se désintégra sous le choc, ne laissant aucune chance à l’équipage. Le pilote venait d’avoir 23 ans, et la moyenne d’age de l’équipage ne dépassait pas les 25 ans. Quatre autres appareils furent touchés mais ils réussirent à rester dans le groupe. Les Yaks, visiblement à court de munitions, sont repartis comme ils étaient venus, dans le soleil. Un Yak, un peu téméraire, tenta une dernière passe, seul. Bien mal lui en pris car tous les mitrailleurs dorsaux concentrèrent leurs feux sur lui et le descendirent. Il alla s’écraser un peu plus loin, aucun signe du pilote, mais nos mitrailleurs vidèrent quelques cartouches dans sa direction.
Le dernier Yak descendu, les bombardiers, qui nous avaient suivis jusque-là reprirent le cap de leur base, nous laissant à nous-mêmes. Peut-être allons nous pouvoir finir cette mission tranquillement. En les voyant s’éloigner sur notre droite, je remarque qu’aucun d’entre eux ne semblait manquer à l’appel mais plus étrange encore, aucun ne semblait avoir subit de dommages !
« Achtung ! Yaks ! »
Encore des chasseurs qui nous foncent dessus par l’arrière, et les munitions se font à manquer. Ils se rapprochent et se maintiennent derrière nous, trop loin pour qu’on puisse les identifier ou les faire fuir par des tirs de barrage. Je suis dans les deux dernières paires de la formation, leurs tirs vont se concentrer sur nous. Je me retourne et je vois Heinz et Josef s’agripper à leur MG15, des douilles vides recouvrant le plancher. Je ne prends même pas le temps de contempler les dégâts, je ne pense qu’à cette vision qui sera peut-être ma dernière, celle d’un équipage prêt à tout pour se défendre, jusqu’au bout, jusqu’à la mort.
Heinz m’annonce que les chasseurs se rapprochent lentement, une formation à notre altitude, une autre restée bien plus haut, ils seront bientôt à portée de tir.
« Ils battent des ailes ! Ils battent des ailes ! » hurle Heinz dans les écouteurs. « Ce sont des nôtres ! Ce sont des Messerschmitt !! C’est notre escorte ! »
Effectivement, les chasseurs, prenant de la vitesse, viennent se placer à notre hauteur, sur notre flanc droit.
« Ici Bertha leader, pardon pour les frayeurs occasionnées, mais nous voulions être sur que c’était vous. »
« Ici Heinkel leader, vous pouviez vous identifier avant. Heureux de vous voir avec nous. »
Quel soulagement ! Ivan allait enfin nous laisser tranquille ou du moins, on a maintenant quelqu’un capable de nous défendre efficacement.
Une fois la confusion passée, les Me-109 et FW-190 se sont mis à faire des S pour conserver leur vitesse sans pour autant nous dépasser. Cela faisait 10 minutes de vol quand les Focke-Wulf annoncèrent des chasseurs russes en approche.
« Ici Anton leader, on a des bandits dans nos 2 heures haut. On part les chercher. »
Selon le plan défini dans le briefing, les Focke-Wulf partent intercepter Ivan alors que les Messerschmitt restent en couverture rapprochée. Au cours du combat qui s’en suivi, hors de portée visuelle, 3 Russes furent descendus pour un FW190 endommagé, moteur fumant. Une partie des Messerschmitt durent cependant aller rejoindre les Focke-Wulf en sous-nombre et faire fuir les Russes, ce qui coûta un Me-109 de descendu.
Une fois les Russes en fuite, nos chasseurs se rassemblèrent en une formation unique environ 1,500m au dessus de nous. Le reste du voyage vers la base fut plutôt calme avec quelques fausses alertes dues à la fatigue des équipages qui croyaient voir des Yaks partout.
A environ 15 minutes de la base, une alerte sonna dans nos écouteurs : la base est attaquée ! Apparemment, il s’agit d’une petite force constituée d’une trentaine de Il-2 Sturmovik équipés de roquettes et bombes à fragmentation.
« Ici Anton Leader, la base est prioritaire. Tous les chasseurs avec moi ! »
Et nous voilà de nouveaux seuls. Heureusement, la ligne de front n’est plus très loin, nous serons bientôt du coté Allemand.
Malheureusement, le temps que les chasseurs arrivent sur place, les russes avaient déjà déguerpis, laissant derrière eux une base meurtrie. Une dizaine d’appareils semblaient détruits ou en mauvais état, dégageant d’épaisses fumées noires qui montaient à la verticale. Au moins, il n’y aura pas de vent pour se poser me dis-je. Quelques bâtiments semblaient également touchés, certains ayant la toiture détruite, d’autres les murs étaient tombés. Aucune victime n’était visible mais je doute qu’il n’y en ait pas. Leurs attaques telles que celle-ci étaient peu nombreuses mais relativement bien coordonnées et surtout diablement efficaces, des chasseurs en couverture haute protégeaient les Il-2 qui dévastaient tout ce qu’ils trouvaient. En effet, toutes les pistes furent rendues inutilisables de même que les taxiways étaient devenus impraticables sauf un où seule une bombe avait explosé à une extrémité. Nous aurions du être déportés sur un aérodrome de secours mais c’était le seul accessible avec le carburant qui nous restait.
Nous sommes arrivés environ treize minutes après les chasseurs, qui orbitaient autour de la base ne sachant quoi faire. La décision fut prise de se poser sur le taxiway qui restait praticable sur sa plus grande partie. « Ici Contrôle Sol, Anton Leader est autorisé à se poser sur taxiway 020 » C’est un Focke-Wulf qui allait lancer le bal, pour s’assurer que la manœuvre était possible. Ce taxiway faisait au moins les trois quart de la piste principal, c’est à dire plus de longueur qu’il nous fallait pour nous poser en temps normal, mais ce n’était pas un cas normal. Comme nous étions tous très limite en carburant, nous volions très proche du terrain, en hippodromes resserrés au maximum, ce qui nous permis de voir l’atterrissage du Focke-Wulf. Il s’aligna, sorti les trains et lentement s’enfonça vers le sol. Mais …. Il se dirige vers la piste !
« Anton Leader ! Vous êtes dans l’axe de la piste ! » Après une seconde d’hésitation, le chasseur obliqua à droite pour se remettre dans le bon axe. Il sort maintenant ses volets d’atterrissage, et finalement se pose sans encombre si ce n’est quelques rebonds à cause du mauvais état du sol.
Juks, endommagé sévèrement, qui aurait du laisser sa place à un autre intact, mais il veut tester le taxiway en premier. Alors que tous les autres sont en train de cercler autour de la base en hippodrome d’attente, il commence son approche. Tout le monde regarde le ‘chef’ se poser sur cette piste de fortune. Tout le personnel est dehors pour assister à ce spectacle étrange. Comme le chasseur juste avant lui, il entame son virage à gauche pour s’aligner. Il sort son train, et immédiatement les volets. Difficilement il se positionne face à la piste, puis se décale à gauche. Sa vitesse est trop faible. Il commence à faire des embardées à droite et à gauche. Il redonne de la puissance à ses moteurs, visible par les nuages grisâtres que ceux-ci viennent de cracher. L’avion se stabilise à quelques mètres du sol. La roue droite touche l’herbe, environ vingt mètres avant la ‘piste’. Il rebondit, puis les deux roues se posent. Il finit par s’arrêter, à grands coups de palonnier pour rester dans le bon axe. Alors qu’il commence à dégager la piste, il ouvre son cockpit et fait de grands gestes. La piste est praticable, c’est à nous de nous poser.
Un à un les Heinkel viennent se poser, mais cette fois, les moins endommagés en premier afin de ne pas encombrer la ‘piste’ dans le cas d’un crash. Je suis le dixième dans la file d’attente. C’est maintenant au tour du cinquième de se poser. Mais … son train d’atterrissage gauche refuse de sortir ! Il n’y a pas le temps de tenter une sortie manuelle.
« Blitz 12 de Contrôle Sol ! Rentrez votre train et faites un atterrissage sur le ventre et prenez la piste d’atterrissage principale ! Tous les autres, en hippodrome ! »
Il ne faut pas prendre le risque de voir un appareil endommager le taxiway en cas de problème. Le crash fut contrôlé partiellement, l’avion s’immobilisa à environ la moitié de la piste, moteurs fumants. Le pilote ayant oublié de mettre les hélices en drapeau. Finalement, tout l’équipage put sortir indemne et l’appareil ne fut que partiellement endommagé, moteurs exclus. Le septième à se poser toucha trop brutalement le sol et son pneu droit explosa sous le choc. L’avion sembla partir hors de contrôle et vint s’encastrer dans un Ju-52 déjà endommagé par l’attaque des russes. On ne dénombrera aucune victime mais les deux appareils seront considérés comme détruits à 80% et non réparables.
C’est à mon tour de poser mon appareil.
« Contrôle Sol ici Blitz 20, demande autorisation d’atterrissage. »
« Ici Contrôle Sol, autorisation accordée. »
La piste est sur la gauche. Je réduis les gaz, environ 30% de la puissance max. Je pousse le manche pour perdre de l’altitude. Tout est en ordre, les dommages ne se font pas trop ressentir, je n’ai pas de mal à compenser. Je dépasse la piste, et j’initie mon virage. Tout en virage, je continue à perdre de l’altitude et de la vitesse. L’avion ne tremble pas, c’est parfait. La piste, enfin le taxiway, apparaît. Je m’aligne avec lui. Je pousse un cran de volet et réduis encore un peu les gaz, la vitesse est trop importante.
« Fusée Rouge ! » me hurle William en se retournant vers moi
Qu’est-ce que ?! Un autre avion est en approche ?! Pourtant, non. Aucun avion ne semble encombrer la piste… qu’est ce que … Mes moteurs tournent rond, les pressions sont bonnes, les volets sont sortis d’un cran, le train est … Le train n’est pas sorti ! Je suis trop bas et trop lent pour relancer les moteurs, je dois me poser. J’enclenche la commande des trains et je vois les lumières rouges qui s’éteignent. Il faut que les vertes s’allument avant que je touche le sol !
« Werner, il se passe quoi ? »
« Eh bien pilote, c’est moi ou j’ai vu une fusée rouge ? »
Pas le temps de leur répondre, pas le temps. Plus que vingt mètres. Plus que dix mètres. Lumières vertes ! Je peux poser l’appareil tranquillement, du moins, en apparence sur la piste improvisée. J’espère juste qu’Arthur n’a pas assisté au spectacle sinon il va m’en reparler dans quatre mois de cet atterrissage. Je serre les freins, et dégage la piste par la droite me rangeant avec les autres Heinkel.
Aucun autre problème ne fut signalé pour les autres Heinkel, même les cas les plus critiques. C’était désormais au tour des chasseurs de se poser. Le premier à se poser fut le « 7 Rouge » dont le moteur commençait à fumer noir. C’est sans encombre qu’il toucha le sol et se rangea près du hangar. Cependant, l’avant dernier à se poser freina brusquement et se leva sur le nez. L’hélice fut brisée et le moteur explosa. Le pilote réussi à sortir de son cockpit et une fois le taxiway dégagé, le dernier Focke-Wulf se posa et retourne près d’un hangar.
Les Messerschmitt eurent aussi du mal à se poser, en plus du fait que leur appareil était naturellement difficile dans cette phase de vol, mais il n’y eut aucun incident à déplorer sinon un pneu éclaté par une balle lors des combats. Le pilote, un jeune prodigue, à en dire ses supérieurs, parvint néanmoins à ne pas endommager l’appareil.
La mission prenait fin.
La mission fut considérée comme un succès car malgré de nombreuses pertes, le bateau russe fut coulé. On ne dénombrera pas de pertes chez les bombers sinon quelques trous dans carlingues et quelques moteurs à réviser. Par contre, les torpilleurs auront payé un lourd tribut ainsi que les chasseurs.